Quae 36615
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Éditions Quæ
http://books.openedition.org
Référence électronique
GARDON, Sébastien ; GAUTIER, Amandine ; et LE NAOUR, Gwenola. Chapitre 5 - L’analyse cognitive des
politiques publiques In : La santé globale au prisme de l'analyse des politiques publiques [en ligne].
Versailles : Éditions Quæ, 2020 (généré le 30 mars 2023). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/quae/36615>. ISBN : 9782759233915.
Chapitre 5
L’analyse cognitive
des politiques publiques
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La santé globale au prisme de l’analyse des politiques publiques
3. Un intérêt pour les représentations, qui sont repérables dans le discours des
acteurs.
4. Les changements dans les politiques publiques ne peuvent se produire que si
les systèmes de croyances se modifient. Une transformation des éléments cogni-
tifs dans un secteur de politique publique est nécessaire pour que des change-
ments se produisent. Il s’agit d’une réflexion sur le niveau macro – c’est-à-dire à
l’ensemble de la société –, sur les normes sociales globales et sur leur influence
sur les comportements politiques et les politiques publiques. Les auteurs parlent
de systèmes de croyances, de paradigmes ou de référentiels. Il s’agit de travaux
qui portent sur la longue durée : plusieurs décennies.
Pour les tenants de l’analyse cognitive, ce sont les « croyances partagées qui
fournissent la principale colle du politique ». Le sens partagé favoriserait la
bonne conduite des réformes de politiques publiques. Les politiques publiques
peuvent être menées au terme de débats au cours desquels des compromis
sont élaborés, le plus souvent par « ajustement mutuel » et, plus rarement, par
« confrontation ». On retrouve trois approches dans l’analyse cognitive des poli-
tiques publiques : l’approche par les référentiels, le modèle de la coalition de
cause et l’approche par les paradigmes.
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Chapitre 5 - L’analyse cognitive des politiques publiques
Dans l’approche par les référentiels, une politique publique vise à agir sur un
secteur de politique publique. Un secteur de politique publique désigne l’espace
où se rencontrent les professions réunies pour s’occuper d’un problème public ou
d’une politique publique particulière. Est construite une certaine conception du
problème, du secteur ainsi que du rapport que ce secteur entretient avec la société
à laquelle il appartient. Avant même d’agir sur le monde, une politique publique
comporte une forte dimension normative, au sens où elle construit une repré-
sentation de ce monde, c’est-à-dire qu’elle définit un problème à traiter, qu’elle
détermine des causes et des conséquences, puis des mesures.
L’analyse cognitive concentre son attention sur la façon dont un groupe « domi-
nant » parvient à devenir légitime et à convaincre d’autres acteurs de la perti-
nence de la définition qu’il donne du problème et la politique publique censée
le régler. « L’approche cognitive repose (...) sur l’idée qu’une politique publique
opère comme un vaste processus d’interprétation du monde, au cours duquel, peu
à peu, une vision du monde va s’imposer, être acceptée puis reconnue comme
‘vraie’ par la majorité des acteurs du secteur, parce qu’elle permet aux acteurs
de comprendre les transformations de leur environnement, en leur offrant un
ensemble de relations et d’interprétations causales qui leur permet de décoder, de
décrypter les événements auxquels ils sont confrontés » (Muller et Surel, 1998,
p. 53). Cette perspective d’analyse rejoint celle de la sociologie des problèmes
publics (Gusfield, 1981).
Cette approche a tendance à privilégier l’analyse de la formation des accords
sur des périodes historiques relativement longues. Les réformes ont pu être
l’objet de débats virulents entre professionnels, mais elles font ensuite l’objet
d’un consensus autour d’un référentiel d’action publique défini comme « un
processus de modélisation de la réalité sociale » opéré par les professionnels
de l’action publique (professionnels du secteur et administrations publiques).
L’approche par les référentiels a été forgée à l’aune de l’analyse des transforma-
tions du secteur agricole et, par la suite, élargie à d’autres secteurs de politiques
publiques, notamment les politiques économiques et industrielles.
Pierre Muller propose deux définitions : « Élaborer une politique publique
revient à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on
veut intervenir. C’est en référence à cette image cognitive, que les acteurs vont
organiser leur perception du système, confronter leurs solutions, et définir leur
proposition d’action : on appellera cet ensemble d’image le référentiel d’une
politique » (Muller, 2003, p. 46). Et le référentiel désigne un « ensemble de
normes ou d’images de référence en fonction desquelles sont définis les critères
d’intervention de l’État ainsi que les objectifs de la politique publique consi-
dérée » (Muller, 2003, p. 46). Pierre Muller donne l’exemple de la santé et de la
défense. Les propositions qui seront faites en matière de santé correspondent à
la représentation que l’on a de la maladie et des personnes soignantes. La défini-
tion d’une politique de défense nationale dépend de l’image et de la perception
du risque principal et de la place que l’on entend assigner à l’armée. Selon que
l’on souhaite défendre le pays aux frontières, assumer une certaine place dans
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Le tournant néo-libéral
C’est une recherche collective qui a donné naissance à un ouvrage abondamment
cité, « Le tournant néo-libéral en Europe », dirigé par Bruno Jobert et paru en
1994 chez L’Harmattan (Jobert, 1994). Il s’agit d’une réflexion sur les trans-
formations des modèles de référence des politiques publiques durant les années
1980, à partir de la montée en puissance de l’idéologie « néolibérale » en Europe.
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Cette idéologie s’est imposée, en tout cas dans les discours, et a exercé une
influence importante sur les politiques publiques des différents pays européens.
Bruno Jobert constate que la plupart des pays européens survivent et s’adaptent
bien aux différentes crises. Plutôt que de s’intéresser aux crises proprement dites
comme le font habituellement les analystes, il entend analyser comment les
systèmes politiques nationaux s’adaptent aux crises. Les différentes recherches
rapportées dans l’ouvrage prouvent que les parcours nationaux vers le libé-
ralisme sont variés tout en obéissant à une logique générale commune. Cela
renvoie à l’importance du référentiel global et de sa structure : le travail des
médiateurs est tributaire d’un référentiel global – une matrice cognitive –, et le
travail des médiateurs visant à construire leur groupe et la place de leur secteur
dans la société n’est pas un travail ex nihilo. Dans l’approche par les référentiels,
les médiateurs et les référentiels sont d’autant plus aptes à imposer une nouvelle
vision de leur secteur, un nouveau référentiel, s’ils parviennent à articuler les
référentiels de politiques publiques (référentiels sectoriels avec le référentiel
global). Il faut donc s’intéresser à l’articulation entre un référentiel sectoriel,
construit par des médiateurs, et un référentiel global et social.
Les nouvelles définitions et images véhiculées par les deux médiateurs Airbus
et le CNJA correspondent à des transformations plus globales. Ainsi, des réfé-
rentiels globaux s’appliqueraient avec plus ou moins de succès à de nombreux
secteurs de politiques publiques et à de nombreux pays. Au-delà du cas du
néo-libéralisme, l’ambition est de comprendre d’une part le rôle des théories
politiques, des grands courants de pensée sur les transformations des politiques
publiques, et d’autre part, le rôle des savoirs, des connaissances et des idées sur
les politiques publiques.
L’hypothèse développée, qui est pratiquement un postulat, est que les idées
nouvelles se diffusent par un processus continu d’apprentissage : c’est « l’étude
des capacités d’apprentissage des systèmes politiques nationaux à des environ-
nements nouveaux » (Jobert, 1994, p. 10). L’objectif est d’analyser l’influence
de grands courants de pensées et leur aptitude à transformer les représentations,
puis à modifier les politiques publiques. Il s’agit aussi de questionner le rôle des
controverses scientifiques dans les transformations des politiques publiques. Là-
aussi c’est une grille de lecture qui s’applique bien à l’influence des théories
économiques sur les politiques économiques.
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de l’analyste, paraît aller de soi. C’est un courant dont on peut critiquer la posture
évolutionniste.
Lectures recommandées
Faure A., Pollet G. et Warin P. (dir.), 1995. La construction du sens dans les politiques
publiques. Débats autour de la notion de référentiel. Paris, L’Harmattan.
Fischer, F. and Forester J., 1993. The Argumentative Turn in Policy Analysis and Plan-
ning. Durham, Duke University Press.
Fouilleux E., 1993. La PAC et ses réformes. Une politique à l’épreuve de la globalisa-
tion. Paris, L’Harmattan.
Jobert B. et Muller P., 1987. L’État en action : politiques publiques et corporatisme.
Paris, PUF.
Jobert B., 1994. Le tournant néo-libéral en Europe Idées et recettes dans les
pratiques gouvernementales. Paris, L’Harmattan.
Muller P., 1984. Le technocrate et le paysan. Paris, Les Editions Ouvrières.
Sabatier P. A., 1999. Theories of the policy process. Boulder, Westview Press.
Zittoun P., 2013. La fabrique politique des politiques publiques, Pour une approche
pragmatique de l’action publique. Paris, Presses de Sciences Po.
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