CAT dev une ischémie mésenterique aigue
CAT dev une ischémie mésenterique aigue
CAT dev une ischémie mésenterique aigue
MISE AU POINT
Résumé
L’ischémie mésentérique aiguë est une urgence diagnostique et thérapeutique. Sa mortalité reste élevée (30 à 95 %),
dépendant de l’étiologie et de la rapidité du traitement. Le syndrome d’ischémie aiguë mésentérique est accessible à un
traitement médical et précède la nécrose intestinale, qui, elle, nécessite toujours une résection. Quatre étiologies sont
décrites : l’embolie artérielle, la thrombose artérielle, la thrombose veineuse et l’ischémie mésentérique aiguë non
occlusive. L’absence de spécificité des signes cliniques impose la réalisation d’examens complémentaires. La
tomodensitométrie abdominale est actuellement l’examen le plus performant. Elle permet un diagnostic différentiel, la
recherche de signes directs d’obstruction vasculaire et la mise en évidence d’une souffrance intestinale. Le traitement
comporte des mesures de réanimation générale et l’utilisation raisonnée d’amines vasopressives. Le traitement d’un
éventuel vasospasme doit être évalué. Le recours à l’angiographie diagnostique et thérapeutique ne doit pas être
systématique. Elle garde sa place lorsque des gestes endovasculaires de désobstruction sont indiqués, ou lorsque le
bilan tomodensitométrique est négatif, dans un contexte pourtant évocateur d’ischémie mésentérique. La stratégie de
prise en charge de l’ischémie mésentérique aiguë doit être multidisciplinaire, associant les équipes de radiologie, de
chirurgie vasculaire et/ou viscérale et de réanimation. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS
INTRODUCTION Microcirculation
L’ischémie mésentérique aiguë (IMA) – parfois dénom- Trois circuits en parallèle irriguent la musculeuse, la
mée ischémie entéro-mésentérique – est une urgence sous-muqueuse et la muqueuse [9]. Ces circuits com-
diagnostique et thérapeutique [1]. Elle touche l’intestin portent successivement en série une zone de résistance
grêle et s’oppose par sa topographie aux infarctus coli- (artérioles), d’ouverture (sphincters précapillaires),
ques ou colites nécrosantes [2]. L’association des deux d’échanges (capillaires) et une zone de capacitance (vei-
atteintes peut se rencontrer par exemple dans l’occlu- nules). Au niveau des villosités de la muqueuse intesti-
sion proximale de l’artère mésentérique supérieure ou nale, le système d’échange à contre-courant comprend
au décours des bas débits postopératoires de chirurgie une artériole centrale et une arborisation capillaire au
cardiaque. Dans une série de 170 malades, l’IMA est sommet de la villosité, qui confluent pour former des
liée à une occlusion dans 34 % des cas, survient en veinules.
l’absence d’occlusion dans 60 % des cas et est non
documentée dans 6 % des cas. Seule une prise en charge Physiologie
rapide et multidisciplinaire peut espérer améliorer la
gravité de cette pathologie. La mortalité de l’IMA reste Au repos, 25 % du débit cardiaque est distribué au
élevée (30 à 95 %) mais dépend de l’étiologie [3]. Elle territoire splanchnique (= 60 mL/min/100 g de tissu).
est inférieure pour les thromboses veineuses (comprise Cette proportion varie de 35 % en période postpran-
entre 20 et 50 %) [4]. Ces données ont été confirmées diale à 10 % lors de l’effort musculaire. Trois quarts du
plus récemment avec une mortalité respective de 13, 59 débit splanchnique sont destinés à l’intestin grêle et un
et 62 % pour la thrombose veineuse, l’embolie ou la quart au colon. L’importance de la fonction métaboli-
thrombose artérielle [3]. L’âge > 70 ans, un état de choc que de la muqueuse intestinale explique qu’elle reçoive
et des antécédents récents de chirurgie cardiovasculaire 70 à 90 % du débit sanguin alors que la sous-muqueuse
sont des facteurs de risque de décès en analyse multiva- et la musculeuse n’en reçoivent que 10 à 30 % [10, 11].
riée [2]. L’absence de spécificité des signes cliniques Au repos, la consommation en oxygène du territoire
imposent le recours à des examens complémentaires splanchnique représente 20 à 35 % de la consomma-
paracliniques. La tomodensitométrie est actuellement tion totale de l’organisme. La proximité entre artériole
l’examen de première intention le plus performant [5]. et lit capillaire favorise la diffusion de l’oxygène selon
Les difficultés du diagnostic sont illustrées par la fré- un gradient de pression partielle [12]. La PaO2 diminue
quence des plaintes juridiques enregistrées pour un au sommet des villosités physiologiquement et cette
retard apporté au traitement [6]. baisse est d’autant plus marquée qu’il existe une hypo-
perfusion splanchnique. Un accroissement local de
l’extraction en oxygène permet de tolérer une réduction
RAPPELS D’ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE de 75 % du flux sanguin mésentérique [12].
Chez le sujet sain, la régulation du flux splanchnique
Macrocirculation est sous la dépendance d’un système extrinsèque (sys-
tème sympathique et substances vasoactives médiées
La circulation hépato-splanchnique est assurée par trois par les récepteurs adrénergiques alpha et bêta). La régu-
troncs artériels principaux issus de l’aorte abdominale lation intrinsèque implique une modulation du tonus
[7, 8]. Le tronc cœliaque se divise en trois branches : artériolaire d’origine métabolique (vasodilatation) et
l’artère hépatique, l’artère splénique et l’artère coronaire un contrôle myogénique. Ces systèmes d’autorégula-
stomachique. Il assure la vascularisation des viscères tion sont comparables à ceux retrouvés au niveau céré-
sus-mésocoliques de l’abdomen. L’artère mésentérique bral et rénal, mais d’efficacité moindre [11].
supérieure vascularise le pancréas, le duodénum, le
jéjunum, l’iléon et les colons droit et transverse. L’artère PHYSIOPATHOLOGIE
mésentérique inférieure vascularise le colon gauche et le
rectum. L’ischémie
Cette vascularisation se caractérise par la fréquence
des variations anatomiques et la richesse des anastomo- Lors d’une diminution de la pression artérielle, en
ses unissant chacun des troncs artériels. Lorsque la l’absence de défaillance hémodynamique majeure, la
baisse de débit sanguin ne concerne qu’une seule des pression de perfusion du secteur systémique est préser-
branches principales irriguant le tractus digestif, les vée. La redistribution du débit cardiaque vers les organes
patients peuvent rester asymptomatiques grâce aux pos- nobles (cerveau et cœur) est associée à une vasoconstric-
sibilités de suppléance de cette circulation collatérale tion artérioveineuse splanchnique. Cette vasoconstric-
(règle de Mikkelsen). tion se rencontre au cours des obstructions artérielles et
656 F. Bartholin et al.
veineuses et surtout lors des états de choc. Au cours du constituées. A contrario, après une courte période
choc cardiogénique par tamponnade ou du choc hémor- d’ischémie, les effets néfastes de la reperfusion devien-
ragique expérimental, ce vasospasme des artères mésen- nent prédominant. Des radicaux libres (H2O2, O2–,
tériques est essentiellement lié à l’activation du système Fe3+), formés en particulier par l’oxydation de
rénine–angiotensine [13-15]. Cette diminution du flux l’hypoxanthine en acide urique grâce à la xanthine-
sanguin mésentérique est compensée localement par oxydase, vont désorganiser la structure moléculaire des
une augmentation de l’extraction tissulaire de l’oxygène lipides membranaires et des protéines cellulaires et géné-
et une répartition préférentielle du flux sanguin vers la rer des lésions endothéliales et tissulaires [19]. Les consé-
muqueuse au détriment de la sous-muqueuse et de la quences sont, dans un premier temps, locales, avec un
musculeuse. Lors d’une défaillance hémodynamique, œdème et une augmentation de la perméabilité tissu-
ces mécanismes peuvent être dépassés et une ischémie laire, une activation des médiateurs de l’inflammation
mésentérique s’installe avec passage vers un métabo- (cytokines, monoxyde d’azote, platelet activating factor)
lisme anaérobie, induisant la formation de xanthine- et des polynucléaires neutrophiles. La diffusion de
oxydase [16]. microorganismes et/ou de toxines, même en l’absence
L’étendue de l’atteinte digestive dépend de la durée et de problème infectieux, peut aboutir à une activation
de l’importance de l’ischémie. Après 15 min d’ischémie
systémique et incontrôlée de l’inflammation. De tels
artérielle, la destruction des cellules débute au sommet
dysfonctionnements de la barrière digestive sont consi-
des villosités par un phénomène d’apoptose (= mort
cellulaire programmée) [17]. On considère qu’entre 0 dérés par certains auteurs comme le « moteur » des
et 6 h, les lésions sont encore réversibles, car l’intégrité syndromes de défaillance multiviscérale [20].
des cellules cryptiques permet, si la perfusion tissulaire
est restaurée, la régénération d’un nouvel épithélium. ÉTIOLOGIES ET FACTEURS DE RISQUES
Au delà de 6 h, et pour certaines équipes entre la
douzième et la vingt-quatrième heure [18], la nécrose Les ischémies mésentériques aiguës peuvent être d’ori-
transmurale s’étend à la musculeuse puis à la séreuse gine occlusive concernant la macrocirculation artérielle
digestive, aboutissant alors aux perforations digestives. ou veineuse ou non occlusive portant sur la microcir-
En l’absence d’une reperfusion précoce, la mort sur- culation lors des phénomènes de bas débit. Parmi les
vient par choc septique et défaillance multiviscérale. Si étiologies des occlusions, la thrombose artérielle,
l’atteinte est localisée, la nécrose peut être évitée, et l’embolie artérielle, la thrombose veineuse étaient iden-
seules les sténoses digestives se développeront. tifiées respectivement dans 38, 36 et 26 % des cas [3].
La reperfusion Ainsi, quatre étiologies différentes, survenant sur des
terrains différents (tableau I) et présentant des signes
Quand la durée de l’ischémie se prolonge, la reperfu- cliniques variables (tableau II), peuvent être distinguées
sion n’influence plus les lésions d’infarcissement déjà [9, 21-24].
stade avancé d’une ischémie mésentérique non traitée une augmentation de l’amylasémie et de la phosporé-
est représenté par l’infarctus mésentérique. Il existe mie sont souvent retrouvées. Le dosage des d-dimères
alors une lésion irréversible, avec une nécrose nécessi- indiquerait une décision opératoire urgente. Très sen-
tant toujours une résection intestinale. sible, il est peu spécifique et doit encore être évalué [32].
L’augmentation des isoenzymes CPKBB est souvent
Savoir évoquer le diagnostic contemporaine de l’infarctus [33]. Le D-lactate, iso-
mère dextrogyre du lactate, en quantité plus importante
Il faut savoir envisager le diagnostic devant le moindre témoignerait d’une augmentation de la perméabilité de
signe abdominal [8, 21, 30], en particulier une douleur, la muqueuse intestinale. Ils pourraient constituer un
chez un sujet présentant des facteurs de risque (tableau I) signe précoce de souffrance ischémique mésentérique
[24]. (VPP = 70 % – VPN = 89 %) [34]. Des études expéri-
La douleur abdominale brutale, à type de crampe, mentales chez le rat, confirmées ultérieurement chez
souvent disproportionnée par rapport aux signes de l’homme, ont retrouvé des taux circulants élevés de
l’examen physique, n’est pas constante mais est rappor- « fatty acid binding protein » au cours de l’ischémie
tée dans 75 à 98 % des séries. Elle touche l’ensemble de mésentérique. Ces différents marqueurs ne sont toute-
l’abdomen mais prédomine en zone périombilicale et fois pas disponibles en pratique courante et ne permet-
au niveau de la fosse iliaque droite ; elle est associée à tent pas réellement d’envisager une amélioration du
une agitation et une anxiété, voire à l’extériorisation de diagnostic [27, 35-37].
selles diarrhéiques par une exacerbation du péristal-
tisme. L’association douleur abdominale brutale, vomis- Apport de l’imagerie
sements et/ou diarrhée et embolie d’origine cardiaque
Généralités
représente une triade classique [1]. Les signes généraux
En raison de son polymorphisme clinique, différents
sont inconstants. Il existe une discordance entre l’inten-
examens d’imagerie peuvent être utilisés dans le dia-
sité de la douleur, l’agitation et la pauvreté de l’examen
gnostic de l’IMA. Le choix parmi ces examens dépend
clinique.
la symptomatologie et de l’importance de la suspicion
Secondairement, on évoque l’infarctus mésentérique clinique [38]. Dans tous les cas, l’imagerie doit essayer
sur la présence d’une distension abdominale avec de répondre aux quatre questions suivantes :
disparition des bruits hydro-aériques, d’une défense et
1) S’agit-il d’une IMA ?
éventuellement d’une diarrhée sanglante. Une disten-
2) La cause de l’IMA est-elle obstructive ?
sion abdominale inexpliquée ou un saignement digestif
peuvent être les seuls signes d’appel en particulier au 3) Cette obstruction est-elle d’origine artérielle ou vei-
cours des atteintes non occlusives. neuse ?
4) Existe-t-il des signes de souffrance digestive ? Et si
Au stade d’infarctus mésentérique, les signes clini-
oui, quel est le degré de cette souffrance et quels sont les
ques, décrits par Henri Mondor, sont bruyants. La
segments digestifs touchés ?
douleur est permanente, exacerbée par des paroxysmes
qui sont de plus en plus rares [8]. Les vomissements Examens d’imagerie
sont abondants, fétides, fécaloïdes, en faveur d’une L’abdomen sans préparation a une valeur très limitée
occlusion. Les épisodes de diarrhée sont plutôt san- dans le diagnostic d’IMA puisqu’il est le plus souvent
glants, puis survient un arrêt des matières et des gaz. normal ou ne met en évidence qu’une simple aérogrêlie
L’examen clinique note un abdomen distendu atone, la en rapport avec l’iléus réflexe [39]. Dans de très rares
percussion un météorisme mat et l’auscultation un cas, une pneumatose pariétale digestive ou une aéropor-
silence sépulcral. L’évolution se fait vers une défense tie peuvent être décelées [40].
puis une contracture. Il survient rapidement une alté- L’échographie peut mettre en évidence des anomalies
ration de l’état général avec un teint gris, un état de du péristaltisme intestinal avec un épaississement parié-
collapsus, une hyperthermie, une déshydratation évi- tal suspect au niveau d’une ou plusieurs anses digestives
dente, une oligo-anurie, une anxiété avec agitation, une et/ou un épanchement intrapéritonéal. L’étude Doppler
polypnée. peut montrer la thrombose de l’un ou l’autre des axes
vasculaires mésentériques [41]. Pourtant, les faiblesses
Examens biologiques du couple échographie/Doppler restent leur caractère
hautement opérateur dépendant et l’interposition d’un
Aucun paramètre biologique n’est réellement spécifi- barrage gazeux.
que d’une IMA [31]. La fuite plasmatique entraîne une L’angiographie, longtemps considérée comme l’exa-
hémoconcentration. Une hyperleucocytose, une aci- men incontournable dans le diagnostic de l’IMA, sem-
dose métabolique avec hyperlactatémie (50 % des cas), ble aujourd’hui supplantée par le scanner qui permet
Conduite à tenir devant une ischémie mésentérique 659
A C
B D
Figure 2. TDM avec injection de contraste. Ischémie mésentérique aiguë d’origine artérielle. A : thrombose de l’artère mésentérique supérieure
(flèche) ; B : épaississement des parois du grêle (têtes de flèche) associé à des signes de pneumatose pariétale débutante (flèches) ; C : défaut
de réhaussement pariétal majeur de certaines anses grêles (têtes de flèche) traduisant un infarctus transmural ; D : aéroportie intrahépatique
(flèche).
bilité en appareils même si certains travaux sont pro- Cette méthode est proposée pour le suivi des états de
metteurs [44]. choc septique et dans le cadre de l’ischémie mésentéri-
que chronique pour diagnostiquer un vol vasculaire du
La tonométrie tronc cœliaque vers l’artère mésentérique supérieure.
En positionnant le tonomètre dans le colon, elle est
Elle permet la mesure du pH intramuqueux ou la utilisée dans la surveillance postopératoire de la chirur-
détermination d’un gradient de PCO2. Elle est effec- gie de l’aorte à la recherche d’une ischémie colique.
tuée au niveau gastrique le plus souvent, compte-tenu Dans l’IMA, cette technique à visée diagnostique est
de la facilité d’accès. Une sonde, munie d’un ballonnet insuffisamment évaluée. Cependant, elle présenterait
distal rempli de sérum physiologique, est placée dans la un intérêt pour le suivi évolutif de cette pathologie [46,
lumière gastrique. Après une heure, les PaCO2 intralu- 47].
minales au niveau du ballonnet de sérum salé s’équili-
brent avec la PaCO2 muqueuse. En admettant que le STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
taux de bicarbonates soit identique dans le plasma et
dans la paroi intestinale, le pHi peut être déterminé à Les critères diagnostiques d’IMA sont plus souvent
l’aide de l’équation d’Anderson-Hasselbach. témoins d’atteinte intestinale avérée ou irréversible.
Conduite à tenir devant une ischémie mésentérique 661
Ainsi, sa prise en charge est toujours une urgence thé- téries à travers un intestin ischémique justifie cette
rapeutique, imposant une concertation multidiscipli- stratégie. Sa durée reste difficile à préciser, mais pourrait
naire et une surveillance en milieu de soins intensifs. La être limitée à huit jours si l’évolution est favorable,
stratégie thérapeutique doit associer de façon simulta- comme le préconise les travaux récents effectués sur les
née un volet symptomatique réanimatoire visant à opti- péritonites [54, 55]. Dans les autres cas, au vu d’études
miser l’oxygénation splanchnique et un volet curatif expérimentales chez le rat, montrant des bénéfices en
chirurgical et/ou radiologique selon l’étiologie de terme de mortalité [56], une antibiothérapie prophy-
l’ischémie. lactique, notamment active sur les germes anaérobies,
peut être envisagée pour encadrer un geste chirurgical.
Les mesures générales D’autres études expérimentales animales montrent une
diminution plasmatique de marqueurs de l’inflamma-
La restauration d’une pression de perfusion tissu- tion lors d’une décontamination digestive par voie enté-
laire mésentérique satisfaisante est une priorité. Dans rale par des agents anti-anaérobies associés ou non à des
un premier temps, l’existence fréquente d’un troisième antibiotiques anti-bacilles à Gram négatif [54, 55].
secteur impose une expansion volémique adaptée par
des cristalloïdes et/ou de macromolécules [1, 48]. Dans
un second temps, la prescription d’amines peut s’impo- Le traitement du vasospasme
ser, au mieux après documentation par échocardiogra-
phie ou cathétérisme droit. Sa documentation nécessite la réalisation d’un cathété-
La noradrénaline responsable d’une vasoconstriction risme percutané précoce et la mise en place d’un cathé-
mésentérique améliore l’oxygénation splanchnique par ter dans l’artère mésentérique supérieure. L’injection
une augmentation de la pression de perfusion systémi- sélective, intra-artérielle, de médicaments vasodilata-
que. teurs, comme la papaverine (bolus = 1 mg/kg), et relais
L’augmentation du pHi gastrique induite par la dobu- 20 min plus tard par une perfusion continue (0,5 à
tamine traduirait une meilleure oxygénation de la 1 mg/kg/h), traite et prévient ce vasospasme. Ces
muqueuse intestinale. Cet effet persisterait lors de l’asso- manœuvres souvent délicates imposent un « stand by »
ciation à la noradrénaline ou à l’adrénaline. chirurgical dans l’hypothèse d’un échec et un suivi
Les effets de la dopamine et de l’adrénaline au niveau étroit en milieu de réanimation afin de dépister une
de la circulation splanchnique sont controversés. L’adré- récidive. Un contrôle angiographique doit être effectué
naline diminuerait davantage le flux splanchnique que systématiquement à la 24e heure [42, 57, 58].
l’association noradrénaline–dobutamine. Les données
expérimentales montrent que la dopexamine augmente
le flux splanchnique. Cependant ses effets chez les mala- Le traitement antithrombotique
des en état de choc restent mal connus [49-51].
Sur le plan digestif, l’iléus justifie la mise en place Une anticoagulation curative (50 UI/kg en bolus,
d’une sonde nasogastrique accompagnée d’une mise au puis 500 UI/kg/j en IV) est indiquée, tout particulière-
repos du tube digestif pour une durée variable. Si la voie ment dans les thromboses veineuses. Lors d’ischémie
digestive est inaccessible, une nutrition parentérale doit artérielle, le risque hémorragique impose une sur-
être débutée à la 24e heure. Dans cette indication, veillance étroite de la coagulation (TCA, héparinémie)
l’utilisation des huiles de poisson contenant des acides et la plupart des auteurs préfère attendre 48 h avant de
gras oméga-3 semble prometteuse [52]. Le relais par la débuter [9]. En cas de thrombopénie à l’héparine,
une nutrition entérale doit être envisagé mais est sou- l’utilisation de la lépirudine (Refludant) est préférable
vent différé malgré ses effets bénéfiques connus sur la à celle du danaparoïde (Orgarant), afin d’éviter le
morbi-mortalité des sujets agressés.
risque de réaction croisée et la récidive thrombotique,
Cette phase réanimatoire doit permettre de corriger dramatique dans ce contexte [59].
les désordres hydroélectrolytiques et acidobasiques et
de prendre en charge de façon optimale toute hypoxé- Dès que l’état clinique se stabilise, un relais par
mie [9, 22, 53]. antivitamine K doit être précocement débuté et sera
La place de l’antibiothérapie n’a pas fait l’objet de poursuivi pour une durée d’au moins six mois. L’apport
recommandations. En présence d’un syndrome périto- spécifique de facteurs déficitaires de la coagulation peut
néal, une antibiothérapie précoce et adaptée aux germes être nécessaire.
de la flore digestive (bacilles à Gram négatif, anaérobies La place des nouveaux anti-agrégants plaquettaires
et entérocoques) paraît raisonnable. La fréquence élevée n’a pas été étudiée, à notre connaissance, pour les
d’hémocultures positives liée à la translocation de bac- phénomènes ischémiques digestifs aigus.
662 F. Bartholin et al.
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