Pour Michèle Coninsx, la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits humains
Michèle Coninsx, de la Belgique, est depuis trois ans la Directrice exécutive de la Direction exécutive du Comité des Nations Unies contre le terrorisme (DECT). Par le passé, cette magistrate a été Présidente d’Eurojust, l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne.
Elle a participé début juillet à la Semaine virtuelle de la lutte contre le terrorisme qui a examiné les pratiques et les problèmes stratégiques du contre-terrorisme dans le contexte de la pandémie de Covid-19.
Organisée par le Bureau des Nations Unies de la lutte contre le terrorisme (BLT), dirigé par Vladimir Voronkov, cette semaine a réuni un millier de participants issus de 125 Etats membres, dont des experts, des représentants de gouvernement, des membres de la société civile et de la communauté onusienne.
Elle a permis de réfléchir à ce qu’implique la pandémie de Covid-19 pour les priorités nationales et pour l’appui que l’ONU apporte aux États dans le combat contre le fléau du terrorisme aux niveaux national, régional et international.
En marge de cet événement virtuel, Michèle Coninsx a répondu aux questions d’ONU info. Pour elle, la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits humains et de l’Etat de droit.
ONU Info : Selon le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, la pandémie de Covid-19 a mis en évidence les vulnérabilités aux formes nouvelles et émergentes de terrorisme. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez observé ces derniers mois ?
Michèle Coninsx : La Covid-19 nous a tous touché de près ou de loin, soit au niveau de la santé, soit au niveau de la sûreté. Donc depuis le début de l'annonce de cette pandémie par l'Organisation mondiale de la santé, tout le monde aux Nations Unies a commencé à travailler via le télétravail. Ça a eu un impact direct sur la façon dont on a travaillé, sur les hôpitaux, les services médicaux mais aussi sur les mouvements de terroristes et d’extrémistes violents.
Dès le début, ma direction à travers un dialogue constant, soit avec les 193 pays du monde, soit en étroite collaboration avec le réseau global des centres de recherche, a établi un contact avec une centaine de centres de recherche et d’universités partout dans le monde. On a tenté de voir l'impact direct à court terme, à moyen et à long terme de cette Covid-19 sur le terrorisme, sur le combat contre le terrorisme et sur le combat contre l'extrémisme violent.
Et là, on a vu qu'il y avait soit des changements de comportement, soit des prises en main par les gouvernements de mesures, soit d'urgence, soit de surveillance. La Covid-19 a également causé des réactions qui peuvent avoir des conséquences sur le plan de la sûreté, sur le plan du terrorisme et de l'extrémisme violent.
Cela étant dit, lorsqu'on parle de terrorisme, la lutte contre l'extrémisme violent, il faut toujours le faire de façon nuancée. C'est une matière tellement complexe et compliquée qu'il faut vraiment voir en quelle mesure il y a un vrai impact, s’il y a une possibilité d'un impact et si cet impact est vraiment confirmé par des recherches scientifiques. Se baser sur des présomptions serait tout à fait inacceptable.
Je crois qu'il y a énormément de similitudes entre le combat contre la Covid-19 et le combat contre le terrorisme.
Ce qui se passe dans un Etat a un impact direct dans d'autres Etats voisins, dans la même région et même au niveau global. Et ça, ça nous a frappé cette similitude entre les deux.
Autre chose en commun, la terreur et la Covid-19 sèment la peur, sèment l'anxiété. Et donc, on a tous intérêt à la clarté de nos propos, plus maintenant que jamais auparavant. Il est important d’avoir un échange d'informations constant, une clarté dans la communication, mais également un échange de bonnes pratiques et de leçons apprises par les continents voisins.
ONU Info : Quels ont été les thèmes abordés lors de la semaine de lutte contre le terrorisme ?
Michèle Coninsx : On a examiné l'impact de la Covid-19 sur le terrorisme, l'extrémisme violent et la lutte contre ces deux phénomènes. Quels sont les besoins essentiels ? Est ce qu'il y a une continuation de l'activité terroriste ? Ou est-ce que l’impact fut tellement important que les terroristes ont tous été en inactivité ?
On s’est également penché sur la problématique des combattants terroristes étrangers, ceux qui retournent, qui se relocalisent dans des pays voisins au pays où ils se trouvent actuellement, surtout en Syrie et en Iraq.
Qu'est-ce qui est arrivé au nombre impressionnant d'enfants et de femmes qui se trouvent dans les camps, par exemple, en Iraq et en Syrie ? Comment peut-on prévenir le terrorisme ? Est ce qu'on voit une hausse d’une activité en ligne et s’il y en a une quel est l'impact sur la radicalisation ? Est ce qu'elle mène simplement à une division de la haine, quel est le caractère de cette haine ? Est-ce que cette haine est raciste, ethnique, religieuse, idéologique, politique ? Est-ce que cette haine est transformée en violence ? Et si oui, dans quelle sorte de violence ? Une violence extrême, une violence politique ? Est-ce qu'elle se traduit en des actes de terrorisme par des acteurs solitaires ou des activités de groupuscules bien déterminés ou de groupes terroristes, islamistes ou autres ?
Est-ce qu’il y a un impact sur la suprématie blanche ? Est-ce qu’il y a un néonazisme qui se profile plus vite ? Est-ce qu'il y a dans ces différences activités, un lien international ?
Michèle Coninsx explique aussi que la semaine virtuelle a discuté de la nécessité du multilatéralisme et de la coopération internationale et de l’importance du respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit. La semaine virtuelle a mis égaleent en exergue combien il était important de prêter attention aux victimes du terrorisme.
Michèle Coninsx : Le Secrétaire général a vraiment initié, il y a quelques années, la Journée internationale du souvenir, en hommage aux victimes du terrorisme. Ces victimes qui ne parviennent plus à connecter de façon physique et normale, mais qui restent avec leur traumatisme. Il faut leur donner une voix, un visage, et prévenir le terrorisme en leur donnant la possibilité de parler de leur traumatisme et ainsi de faire partie de la solution.
ONU Info : Durant cette semaine, est ce que vous avez abordé les besoins et les priorités en matière de lutte contre le terrorisme pendant et après la pandémie de Covid-19 ?
Michèle Coninsx : Je crois qu'il faut continuer à être vigilant, alerte, être à l'écoute, avoir un dialogue avec tous les États membres sans faire des exceptions.
Même avant la Covid-19, on avait mis l'accent sur le multilatéralisme, la coopération internationale, le besoin d'échange d'informations et qu'il fallait absolument faire attention aux combattants terroristes étrangers, ceux qui retournent et qui rentrent dans leur pays. Qu’il fallait les suivre de près. Qu’il fallait les évaluer, les assister, les poursuivre éventuellement et les réhabiliter, les réinsérer. Donc tout cela continue à être important. On continue également à se pencher sur le financement du terrorisme.
On voit également qu'il y a des pays dans des continents bien précis où les groupes armés, les groupes criminels, les groupes terroristes continuent à étendre leur champ d'action et qui évidemment, aidés ou influencés par la Covid-19, ont beaucoup plus de marge de manœuvre. Les terroristes, les extrémismes violents profitent simplement de la fragilité des États et commencent à remplacer les autorités du gouvernement s’ils voient qu’il y a une possibilité.
Donc, il y a là pour nous une nécessité d'avoir cette vigilance, d'être alertes, de se pencher sur les soi-disant points chauds, les pays qui ont un besoin énorme d'assistance technique et de suivi. Et c'est là justement la plus-value absolue des Nations Unies. De voir à travers une vue d'ensemble, comment les phénomènes se développent et où il faut agir avec urgence.
ONU Info : Et comment votre bureau s'est-il adapté à la lutte contre le terrorisme durant cette réponse à la Covid-19 ?
Michèle Coninsx : Comme tout le monde on a suivi les consignes. D'abord, du pays où on est, de la ville où on a accueilli et également les consignes qui ont été données par le Secrétaire général de l'ONU, le confinement, on nous a imposé un télétravail.
Dans le cas de la Direction exécutive du Comité de lutte contre le terrorisme, là où on faisait les évaluations lors de visites dans les pays déterminées par le Conseil de sécurité, et bien à cause des restrictions de voyage, il a fallu continuer à avoir un dialogue à travers les missions permanentes ici à New York, à travers des points focaux dans les différents pays membres, grâce aux contacts renforcés avec les résidents coordinateurs et les équipes terrains, pour avoir cette vue d’hélicoptère, avoir ce dialogue qui est tellement important et de continuer à évaluer.
Dans quelle mesure l'Etat est capable de mettre en place les résolutions du Conseil de sécurité et voir où se trouvent les lacunes, les problèmes éventuels et en fait transmettre ces informations en temps réel aux autorités onusiennes qui s'occupent essentiellement du renforcement des capacités et de l'assistance technique, le cas échéant DECT, le Bureau pour la lutte contre le terrorisme et les pays donateurs.
Donc, il y a tout un travail de coordination qui se fait. En dehors de cela également, suivre de près l'évolution des tendances et de voir s’il y a des tendances émergentes. Il est important de produire des produits analytiques comme on l'a fait récemment à la DECT et les partager avec le monde entier pour que tout le monde puisse savoir en temps utile à quoi faire attention, recouper ces informations avec les expériences vécues dans les pays et de continuer ce dialogue.
Donc, cela a fortement influencé la façon dont on a commencé à travailler et à réfléchir. Mais de toute façon, quoi qu'on fasse, il faut rester proactif et être encore plus actif qu’auparavant.
ONU Info : Est-ce important pour les femmes et les jeunes de participer à la lutte contre le terrorisme ? Et pourquoi ?
Michèle Coninsx : Ça fait partie intégrale des dispositions prises par le Conseil de sécurité. C'est devenu vraiment un fil rouge. On ne peut pas avoir de mesures sécuritaires ni avoir de stratégies de lutte contre le terrorisme, si on a une approche non inclusive. C'est un travail du gouvernement, des autorités nationales officielles, mais ce travail est également couplé à un travail essentiel de la société civile, des universitaires, du secteur privé, des femmes et des jeunes.
Avant la pandémie de Covid19, Michèle Coninsx s’est rendue dans plusieurs pays concernés par la problématique du terrorisme et elle a pu se rendre compte de l’importance des jeunes dans ces pays.
Michèle Coninsx : Plus que la moitié, 60%, 70% de la société est composée de jeunes. Donc si on ne donne pas une voix à ces jeunes, si on ne regarde pas après l'éducation tellement nécessaire de ces jeunes, on risque de créer toute une génération de jeunes sans perspectives, sans espoir, qui risquent de devenir des cibles privilégiées des terroristes et des extrémistes violents.
On voit également que dans les pays qui sont déjà fortement atteints par le terrorisme, l'extrémisme violent, on a ce besoin d'avoir des femmes qui jouent leur rôle soit dans la prise de décision, soit dans une approche inclusive. Mais on voit que maintenant, justement, à cause de la Covid-19, ce sont justement les femmes qui deviennent les soignantes en premier lieu, et donc les victimes en premier lieu. Et là, dans ces mêmes pays, ce sont encore les femmes qui deviennent les premières victimes d'actes de groupes criminels ou de groupes terroristes.
Je parlais justement de la propagande, de la glorification du terrorisme en ligne. Comment maintenant avoir une modération de ce discours ? Comment avoir un discours positif, une alternative ? Ça se fait évidemment par l'étroite collaboration avec le secteur privé. Mais il faut avoir un mécanisme où le secteur privé et le secteur public peuvent se rencontrer. Il y a des initiatives qui ont été prises par les Nations Unies, également par ma propre direction, comme les Technologies de l’information et de la communication contre le terrorisme (TIC against terrorism), qui est un partenariat privé public qui aide les petites compagnies, les start-ups à avoir les mêmes possibilités que les grandes compagnies technologiques à faire face à ce genre de problème. Donc comment modérer ? Comment avoir des alternatives, tout en respectant les droits de l'homme et la liberté d'expression? Donc il y a tout ce travail qui ne date pas de cette période dite Covid-19 mais qui date depuis quelques années, mais qui, en suivant les tendances émergentes, devient d'autant plus importante et d'actualité.
ONU Info : Comment peut-on bâtir des sociétés résilientes et débarrasser le monde du terrorisme ?
Michèle Coninsx : Je sais que l’on utilise des grands mots comme l’éradication du terrorisme. Dans un monde idéal, on n’aurait plus de terrorisme demain, ni après-demain et je crois qu'il faut aborder le sujet, comme je l'ai dit, de façon nuancée et avec un sens des responsabilités, d'urgence et de réalisme.
Je crois que si on a déjà cette approche inclusive, en associant le secteur public, le secteur privé, le gouvernement avec le monde sociétal, je crois qu'on a fait un énorme pas. Si les mesures prises dans le cadre du combat contre le terrorisme et du combat contre l'extrémisme violent se font en respect total des droits de l'homme et de la règle de droit, on va avoir des résultats tangibles.
Si on parvient à voir à travers notre radar quelles sont les menaces et les tendances émergentes, quels pays et quelles régions sont à suivre de près, on pourra faire le travail par excellence des Nations Unies : venir en aide, soutenir les pays qui ont des problèmes, soit de terrorisme, soit d'extrémisme violent, et le faire, je dirais avec un grand sens des responsabilités et d'urgence.