L’ONU craint les effets tragiques d’un conflit régional sur la crise en Syrie
Lors d'une réunion du Conseil de sécurité consacrée vendredi à la Syrie, deux hauts responsables de l'ONU ont mis en garde contre la dégradation de la situation dans ce pays, sur fond de menace d’un plus large conflit régional.
« Le danger est réel, imminent, que le peuple syrien soit entrainé dans un conflit régional plus large », a déclaré l'Envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Geir O. Pedersen, rappelant l’escalade des tensions qui a marqué la semaine passée, avec l’explosion d’appareils électroniques au Liban, et en Syrie, les 17 et 18 septembre, les échanges de frappes israéliennes et de missiles du Hezbollah ainsi que l’attaque, ce 20 septembre, d’un véhicule à l’aéroport de Damas, peu après le bombardement d’un site militaire en Syrie.
Cette escalade intervient alors que la violence reste à un niveau élevé au cœur du conflit syrien lui-même, illustré par de tragiques épisodes armés de part et d’autre des lignes de front, a-t-il déploré devant les membres du Conseil de sécurité.
Il a cité les nombreuses victimes civiles de l’attaque par drone d’un marché d’Alep commise par les forces pro-gouvernementales, les frappes meurtrières du groupe Hayat Tahrir al-Sham, classé parmi les groupes terroristes, contre des soldats de l’armée syrienne, et la gravité croissante des actions du groupe terroriste Daech.
L’Envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie a rappelé le besoin crucial d’une désescalade dans toute la région, y compris à Gaza, ainsi que d’un cessez-le-feu en Syrie conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité, demandant aux belligérants de respecter le droit international humanitaire et ses obligations de protection des civils.
Explosion des besoins humanitaires
Car sur fond de violence et d’instabilité, les Syriens sont confrontés à l’explosion des besoins humanitaires, à une économie dévastée, des infrastructures détruites, les pires déplacements de population en un siècle et une crise des personnes détenues ou disparues qui n’est toujours pas résolue.
Geir O. Pedersen a déploré les millions d’enfants privés d’école cette année, l’insuffisance criante du salaire minimum local, qui ne couvre que 11% des besoins de base et seulement 17% des besoins alimentaires de ses bénéficiaires, et appelé à mesurer ou éviter les effets adverses des sanctions imposées à la Syrie, dont le PIB a été réduit de moitié depuis 2011.
Seize millions de personnes dans le besoin
« Plus de 16 millions de personnes, dont plus de la moitié sont des enfants, ont besoin d'aide humanitaire et de protection », a déclaré pour sa part Ramesh Rajasingham, Directeur de la coordination au sein du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), devant le Conseil.
« Les familles dans le besoin sont contraintes d'adopter des stratégies d'adaptation négatives, en envoyant les jeunes garçons travailler et en poussant les jeunes filles à se marier tôt », a-t-il noté.
Les enfants sont également exposés à un risque accru de violence sexuelle et d'autres formes d'abus, en particulier ceux qui sont séparés de leur famille ou qui se trouvent dans des camps de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.
M. Rajasingham a en outre noté que face à l'explosion des besoins, les agences humanitaires manquent de ressources pour y répondre. Le plan d'intervention de 4,07 milliards de dollars pour la Syrie en 2024 n'est financé qu'à environ 25 %, soit environ 1,04 milliard de dollars.
Dans le même temps, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées, les mauvais traitements, la torture et même la mort de détenus sont signalés dans toutes les régions du pays, a-t-il précisé, en soulignant le rôle crucial que joue l’Institution Indépendante pour les personnes disparues pour soulager la souffrance des familles.
Pratiques prédatrices des toutes les factions
De son côté, devant le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, le Président de la Commission d’enquête Internationale indépendante sur la Syrie, Paulo Pinheiro, a rappelé que dans le nord-est du pays, des dizaines de milliers de femmes et d’enfant sont toujours assignés dans des camps dans des conditions inhumaines, avec parmi eux, des civils yézidis, dix ans après le génocide qui les a visés.
Il a déploré que dans le nord-ouest de la Syrie, où s’entassent 4,2 millions de Syriens, pour 80% des personnes déplacées, le recul des aides par la communauté internationale contribue à la fermeture de 110 centres de santé.
Les attaques de Daech sont en passe d’atteindre un niveau double de celui de 2023, et dans le nord-ouest du pays, on déplore la mort de 150 civils, pour moitié des femmes et des enfants, due aux bombardements indiscriminés par les forces gouvernementales.
Paulo Pinheiro a stigmatisé les pratiques prédatrices des forces de sécurités locales et des diverses factions envers les civils.
Ces pratiques vont de l’extorsion aux points de contrôle à la confiscation de terres et de propriétés et à la détention arbitraire ou l’enlèvement, « qui érodent le tissu social dans un pays brisé politiquement et économiquement ».
Quant à la situation des réfugiés et des personnes déplacées, elle reste alarmante.
Geir O. Pedersen, appellant à en finir avec la rhétorique anti-réfugiés qui se renforce dans les pays hôtes, a confirmé que les expatriations se poursuivent et que les retours volontaires sont encore peu nombreux, en raison des craintes pour la sécurité et la subsistance en Syrie.
Seule une solution politique est envisageable
Geir O. Pedersen a martelé que le retour des réfugiés dans la dignité et la sécurité, comme d’autre questions urgentes, « ne s’accommode pas de raccourcis, et exige, outre une protection des civils et des avancées économiques, un processus de résolution politique crédible, sans lequel la spirale du déclin se poursuivra ».
L’Envoyé spécial a aussi déploré les divisions qui déchirent la société civile elle-même, et rappelé que l’ONU est l’une des rares instances capable de communiquer avec des Syriens de tous bords, notamment en promouvant le rôle des femmes dans le dialogue national.
Quant à la résolution politique du conflit, elle exige à ses yeux une mise en action du Comité constitutionnel, des mesures de renforcement de la confiance, et une nouvelle approche qui n’exclue pas des acteurs décisifs et promeuve les compromis. Il n’y a pas de solution militaire à ce conflit. Et la diplomatie au coup par coup montre aussi ses limites, même pour la résolution de problèmes mineurs, a-t-il martelé, en appelant toutes les parties à un véritable engagement.