ROMAN

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Dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud se moque de Musset et de son long poème « Rolla
». (Jacques Rolla, jeune bourgeois se suicide par amour), dont il blâme le lyrisme mièvre.
Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, — que sa
paresse d’ange a insultées ! Ô les contes et les proverbes fadasses ! ô les nuits ! ô Rolla, ô Namouna, ô la
Coupe ! […] On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en
mesure de débobiner une apostrophe Rollaque, tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret
d’un carnet. À quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent
déjà de les réciter avec cœur ; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen, fait le Rolla,
écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny du 15
mai 1871.
Présentation du poème
Notre poème présente les émotions d’un adolescent, quittant les cafés pour goûter l’ivresse de la Nature.
Une aventure qui a une dimension universelle ! Il rencontre l’amour et se croit dans un roman, ce qui nous
entraîne dans une intrigue littéraire en raccourci. Mais le regard du poète est chargé d’ironie, refuse le
sublime, et l’on devine que le manque de sérieux de la jeunesse n’est pas ce que l’on croit !
Problématique : Comment le poète emprunte-t-il aux codes du roman pour raconter avec ironie un petit
récit d’éducation sentimentale ? ou comment Rimbaud tourne-t-il en dérision le motif traditionnel du coup de
foudre et le lyrisme romantique ?
Titre paradoxal pour un poème. Structure du roman, découpage en sections qui rappellent les « chapitres »
Mais voir les différents sens du mot « roman » : genre narratif, aventure amoureuse, discours mensonger ou
fruit de l’imaginaire.
Le poème se compose de 12 quatrains en alexandrins, rimes croisées, , alternant rimes masculine set rimes
féminines : conformément à la poésie traditionnelle + cf rencontre amoureuse.
Annoncez les mouvements.

I. L’insouciance adolescente (section I, v. 1-8)


Q 1 La situation d’énonciation : le premier vers du poème (« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept
ans. ») semble se présenter d’abord comme une confidence autobiographique, mais l’emploi et la répétition
du pronom indéfini « on » et le présent de généralité modèrent cette première impression pour suggérer une
expérience plus large, universelle, à laquelle le lecteur peut s’identifier. Le choix du « on » - et non l’emploi
du « je », cher aux poètes romantiques pour exprimer leurs états d’âme - révèle aussi le souhait de Rimbaud
d’opérer une distance critique et de s’écarter des codes lyriques traditionnels pour relater avec ironie ses
premiers élans amoureux. Le premier vers, que l’on retrouve à la fin du poème, invite à ne pas prendre cette
histoire au sérieux.
Les circonstances du récit s’organisent en deux temps : l’auteur donne d’abord des éléments d’ordre
autobiographique : les « dix-sept ans » évoquent l’âge de Rimbaud, né en 1854.
Un cadre spatio-temporel précis est mis en place dans un second temps : v.2, les bocks renvoient au nord, »
la scène se déroule « un beau soir » (v. 2), à la fin du printemps et au début de l’été (« bons soirs de juin »,
v. 5). La saison, ainsi que l’heure, sont donc propices à la rencontre amoureuse et rappelle le lyrisme
romantique qui associe la nature aux émois amoureux. Mais ici la nature réduite à une « promenade » de
« tilleuls verts » n’est qu’une pseudo nature dans un environnement urbain.
L’énergie de la jeunesse et l’enthousiasme du poète sont rendues ironiquement de manière appuyée par les
exclamations v2 et 5 (ponctuation expressive), comme celle soulignée par l’expression familière « foin de »,
qui marque le mépris et le rejet, la phrase nominale, V 2et 3.
Le cadre semble idéalisé, loin du bruit des cafés, rejetés au vers suivant par un enjambement, bruit souligné
par l’allitération en t et en c, et l’assonance en a (« Des cafés tapageurs aux lustres éclatants », v. 3).
Q 2 Les adjectifs mélioratifs « bons » (v. 5) et « doux » (v. 6) dessinent un cadre de promenade agréable.
Le poète quitte les « cafés tapageurs » de la ville pour profiter de la nature environnante qui éveille tous ses
sens : sa vue (« les tilleuls verts, v. 4), son odorat (« les tilleuls sentent bon », parfums v. 5 et 8), son
toucher l’air/ le vent, son ouïe (« bruits », v. 7) puis son goût (« parfums de bière », v. 8). Le jeune poète
s’ouvre avec délectation à la sensualité du monde qui s’exprime à travers les synesthésies qui associe la
sensation tactile (« le vent ») à l’ouïe (« chargé de bruits » v. 7), la sensation olfactive à la sensation
gustative (parfums de bière v. 8).
La présence des sensations Il faut cependant relativiser cette douceur : l’allitération en r « chargé de
bruits », souligne les désagréments de la ville qui n’est pas loin et aux « parfums de vigne », allusion
possible au vin, se mêlent ironiquement « des parfums de bière » (v. 8).
L’élan passionné du poète se manifeste aussi par les répétitions des termes « bons » (v. 5) et «
parfums » (v. 8). On peut noter l’antanaclase « sentent bon »/ bons soirs de juin, parfums (odorat/goût).
(L'antanaclase est une figure de style qui consiste à employer un mot plusieurs fois dans une même phrase,
dans deux sens différents)
II. Les premiers émois amoureux (section II, v. 9-16)
Q 3. Vers 9-12 : Cette deuxième section du poème retrace les premiers émois amoureux du jeune poète. Les
vers 9 à 12 décrivent sa rêverie sentimentale déclenchée par la vue d’« un tout petit chiffon / D’azur sombre
» qui évoque probablement le vêtement de couleur bleu porté par la jeune femme entrevue par le poète.
L’apparition féminine est elle aussi tournée en dérision par la synecdoque qui entraîne d’ailleurs une confusion
entre la femme et le cadre (« Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon/ D’azur sombre […] piqué d’une
mauvaise étoile », v. 9-11). Le poète aperçoit-il un morceau de ciel où brille une étoile, ou un morceau de robe
? Le doute est permis, et les deux se mêlent en une évocation rendue dérisoire par la métaphore du « chiffon
» (v. 9) et la répétition de l’adjectif « petit » à 3 reprises (v. 9, 10 et 12) qui déprécie la beauté de la nuit.
L’effet produit en apparaît d’autant plus comique.
L’évocation de cette rencontre amoureuse ne se caractérise donc pas par son romantisme. Rimbaud en
atténue le lyrisme et modère l’enthousiasme du jeune poète par la description qu’il donne du ciel nocturne.
Au rythme régulier de la 1ère partie, le rythme est ici plus heurté avec la présence d’enjambements audacieux :
le rejet du CDN « D’azur sombre » qui assombrit le ciel. Le v 11 joue sur le sens figuré de l’expression
« mauvaise étoile », annonçant de manière proleptique la fin de l’histoire. Le contre-rejet du verbe « se
fond » semble faire disparaître la vision, toute en sensation visuelle picturale (touches de couleur : azur ;
blanche); l’allitération en « f » (se fond avec de doux frissons ») renforce l’enjambement (effet de continuité).
Les frissons suggère l’éveil des sens.
Q 4 L’exaltation du coup de foudre de l’adolescent s’exprime-t-elle ?
L’enthousiasme amoureux de l’adolescent s’exprime par de nombreux procédés, notamment les
exclamatives du vers 13 (« Nuit de juin ! Dix-sept ans ! »). La brièveté de ces deux phrases nominales
brise le rythme et la régularité de l’alexandrin pour signifier l’ivresse qui s’empare du jeune homme et le
plaisir de l’instant présent.
Cette ardeur se signale aussi par l’emploi massif du champ lexical de l’ivresse (celle du désir)
(« griser », v. 13 ; « champagne », v. 14 ; « monte à la tête », v. 14 ; « divague », v. 15). La romance vécue
par le poète se place sous le signe de l’excellence : le « champagne », boisson noble, se substitue à la bière
(v. 8) au caractère populaire et prosaïque.
Le premier hémistiche du vers 14 insiste également sur la griserie que procure ce champagne, dont le goût
évoque la sève des tilleuls présents le long de la promenade. Cette sève symbolise bien l’éveil du jeune
homme à une sensualité qui le rend euphorique.
Le rejet du verbe « palpite » au v 16 souligne l’émoi du jeune homme. L’adv « là » est ambigu, de même que
la comparaison avec « la petite bête » de la comptine, qui chatouille (cf « Rêvé pour l’hiver »).
Enfin, l’usage des points de suspension aux vers 12, 14 et 16 témoigne avec ironie de la difficulté
d’expression du poète, submergé par ses émotions, qui en vient à perdre la parole et crée ainsi un effet de
mystère, suspens.

III. La rencontre d’une jeune fille (section III, v. 17-24)


Q5
Le vers 17 s’ouvre sur une double référence. La première évoque le personnage de Robinson Crusoë, le
célèbre protagoniste du roman éponyme de l’écrivain anglais Daniel Defoe (1660-1731) paru en 1719. Lien
avec le titre. C’est à partir de ce prénom évoquant un héros partant à l’aventure que Rimbaud forge le
néologisme « Robinsonne » qui signifie « vagabonder ». La seconde référence (« à travers les romans »)
fait écho à l’univers romanesque des romans d’amour dont les aventures sentimentales font rêver le jeune
poète.
Le vers 19 introduit l’apparition de la « demoiselle » sur laquelle l’éveil amoureux du poète se cristallise.
Trois éléments la rendent attirante aux yeux de l’adolescent : « ses airs charmants », v. 19 ; son allure «
alerte », v. 23 ; et enfin son empathie pour lui puisqu’elle le trouve « immensément naïf », v. 21. Il exprime
enfin son attirance par la mention des « lèvres » de la jeune femme qui évoquent la possibilité d’un baiser.
La position di verbe « passe » en début de vers souligne bien que la jeune fille ne s’attarde pas.
Les enjambements v18-20 épousent le rythme de la marche.
Mais la jeune fille n’est pas seule. Elle est accompagnée de la figure paternelle, son sinistre père dont
l’ombre la cache. Négative, cette « ombre » devient même angoissante puisque le père n’est désigné ici que
par la synecdoque « faux-col » où le terme « faux « sonna péjorativement (v. 20), qualifié d’« effrayant ».
Les points de suspension suggèrent bien la menace du chaperon.
Q 6 La surveillance du père n’empêche pas la demoiselle de marquer son intérêt pour le poète lorsque leurs
regards se rencontrent, comme le souligne le champ lexical du mouvement « se tourne », « alerte »,
« mouvement » (v. 23).
Mais l’échange des regards est fugace : le dédain qu’elle lui témoigne en détournant la tête est marqué par
l’hyperbole d’autodérision « immensément naïf » et par le fait qu’elle passe rapidement : l’allitération en t
(« tout », « trotter », « bottines ») suggère la rapidité de la démarche et le martèlement des « bottines », v.
22.
Le passage du pronom indéfini « on » au pronom « vous » renvoie à un expérience personnelle tout en y
associant le lecteur.
Le v. 24 marque la déception, soulignée par le tiret et le verbe « meurent ».
Les points de suspension suggèrent une action qui ne peut être dite et qui trouble le poète par sa sensualité.
IV. Le dénouement (section IV, v. 25-32)
Q 7 V 25 Loin du mythe romantique de l’amour éternel, l’histoire d’amour se révèle n’être finalement qu’une
histoire d’amour brève, une passion passagère.
La rupture entre la phrase « vous êtes amoureux » répétée 2 fois et le dédain de la jeune fille est marqué par
l’asyndète v 25 et 26. + le tiret v 26. Le verbe « loué » (v. 25) marque le caractère temporaire de l’idylle
entre les deux jeunes gens, comme un bail qui peut être résilié. Ici, l’histoire d’amour n’a duré qu’un mois
environ, jusqu’au mois d’août. La souffrance du poète face aux moqueries de la jeune fille est renforcée par
l’idéalisation appuyée que suggère la majuscule « La » v.26.
V 27 : la solitude du poète est soulignée par l’hyperbole « tous vos amis », le rythme binaire renforcé par la
césure et l’allitération en « v ». L’expression « mauvais goût » est mise en valeur par la construction comme
attribut
V 28 Le poème s’achève avec humour sur la rupture amoureuse. La jeune fille quitte le poète de sa propre
initiative (v. 28) : celle qu’il qualifie d’ « adorée » finit enfin par lui écrire, mais ce n’est qu’une lettre de
rupture comme le suggèrent les points de suspension. L’hyperbole « l’adorée » tranche alors avec l’effet
produit par la lettre reçue et peut rétrospectivement paraître ironique puisque l’amour fiévreux qu’éprouvait le
poète pour la jeune fille n’a jamais été réciproque.
Q 8 v 29 Le poème se construit de manière circulaire en s’achevant sur le lieu (les cafés) que le poète fuyait
au début. S’ils étaient auparavant pour l’adolescent synonymes d’une vie qu’il cherchait à fuir tant elle était
peu conforme à ses désirs, les cafés représentent à présent un refuge où, dépité, le poète entre et se
console dans la boisson.
V 30 : Le « champagne » du vers 14 semble bien loin : le poète retourne piteusement et ironiquement à ses
bières et à sa limonade du début, qui contrastent avec l’ivresse du v 14, signifiant la fin de l’idéal amoureux et
le retour à une vie ordinaire.
Les points de suspension marquent de manière ironique la fin de l’histoire d’amour et le refus du lyrisme
traditionnel.
La répétition v 31 du vers d’ouverture du poème prend ici une dimension ironique : la promesse d’une
histoire exaltante du vers 1 est vue rétrospectivement au vers 31 et semble sonner avec humour la fin des
illusions. Le retour au point de départ (avec variations) et le complément circonstanciel de temps « jusqu’au
mois d’août » (v. 25) soulignent la fugacité des amours adolescentes.
Le dernier vers constitue une chute inattendue à double titre. Le poème se clôt sur l’image triviale des
tilleuls, inconvenante pour achever un poème dédié à la passion amoureuse, où l’évocation de l’idylle
amoureuse aurait été de mise dans la grande tradition lyrique. L’anacoluthe (« Et qu’on a des tilleuls
verts… ») qui marque une rupture dans la construction syntaxique, renforce également la surprise de cette
fin. Rimbaud se joue ici des codes du lyrisme traditionnel (tournant en dérision la présence de l’élément
végétal, réduit à un simple décor) et crée ainsi une poésie originale et nouvelle.

Conclusion : Ironie du poème, qui commence dès son titre, mais aussi l’originalité de son lyrisme, qui
parvient à rendre l’universalité de l’expérience des premiers émois amoureux de l’adolescence et les remet à
leur juste place, loin des élans de la poésie romantique, dont Rimbaud se joue des clichés.
LA QUESTION DE GRAMMAIRE
13. GRAMMAIRE • Relevez et analysez une subordonnée conjonctive circonstancielle dans la
phrase :
« L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière » (v. 6).
 La phrase comprend deux verbes, donc deux propositions :
 une principale (« L’air est parfois si doux » ;
 une subordonnée (« qu’on ferme la paupière »).
Cette subordonnée est introduite par la conjonction de subordination « qu’» associée à l’adverbe
corrélatif « si »
 Elle exprime la conséquence du fait exprimé dans la principale ; on peut en effet reformuler ainsi
la phrase : La douceur de l’air conduit à fermer la paupière. Cette proposition subordonnée
conjonctive est donc complément circonstanciel de conséquence.

FAIRE LE LIEN AVEC LE THEME DU PARCOURS


15. Montrez en quoi le vocabulaire de ce poème est moderne.

« Roman » se caractérise par l’emploi d’un lexique du quotidien qui ne figure pas traditionnellement en
poésie (« bocks », « limonade », « réverbère », « faux-col », « bottines »). Ces termes prosaïques se
doublent d’expressions empruntées au langage populaire : « Robinsonne », « loué » et « mauvais
goût ». Rimbaud, par cette grande liberté d’expression, propose ainsi une nouvelle poésie lyrique qui
se démarque du lyrisme classique des romantiques et qui est susceptible de toucher les adolescents.

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