Ma bohème, Arthur Rimbaud analyse linéaire pour le bac

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Ma bohème, Arthur
Rimbaud : analyse
Par Amélie Vioux • 3 octobre 2014
• 59 commentaires

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Van Gogh
Voici une analyse du poème « Ma Bohème »
d’Arthur Rimbaud (1870).

« Ma bohème », Rimbaud :
analyse linéaire pour l’oral
Le recueil intitulé Les Cahiers de Douai
d’Arthur Rimbaud est constitué de poèmes
de jeunesse.

S’y côtoient des poèmes d’inspiration


classique, imités des maîtres, des poèmes
politiques, satiriques ; et d’autres
directement inspirés de la vie personnelle
du jeune Rimbaud, de ses amours
adolescentes, de ses vagabondages et de ses
fugues.(Voir la fiche de lecture sur Cahiers
de Douai)

C’est le cas de « Ma bohème », qui a


peut-être pour point de départ la fugue
d’octobre 1870.

Rimbaud n’a alors que seize ans et cherche


à échapper à la pesanteur et à la sclérose
familiales.

Ce qu’il nomme « bohème », c’est une vie où


s’allie pauvreté mais liberté, insouciance et
poésie, qui peut être inspirée de certains
clichés du romantisme.

Dès le titre, le possessif « ma » annonce


cependant une réappropriation particulière
de cet idéal. Le sous-titre de « Fantaisie »
vient quant à lui renforcer l’idée de liberté.

Le poème, pourtant, n’est pas de forme libre,


puisqu’il s’agit d’un sonnet en apparence
assez classique ; le poète y fait un
autoportrait sans doute en partie réel, en
partie rêvé, d’où l’autodérision n’est pas
absente.

Poème étudié

Je m’en allais, les poings dans mes



poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton
féal ;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides
j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.


– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans
ma course
Des rimes. Mon auberge était à la
Grande-Ourse.
– Mes étoiles au ciel avaient un doux
frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des


routes,
Ces bons soirs de septembre où je
sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin
de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres


fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les
élastiques
De mes souliers blessés, un pied près
de mon coeur !

Arthur Rimbaud, Cahier de Douai


(1870)

Problématique
Quelles sont les caractéristiques de la
« bohème » idéale de ce tout jeune poète ?

Annonce du plan linéaire


Dans les vers 1 à 5, le poète commence par se
dépeindre en vagabond espiègle dévoué à
la Muse, c’est-à-dire à la poésie.

Il se présente ensuite, des vers 6 à 11, en


Petit-Poucet heureux de se perdre dans un
espace nocturne, source d’inspiration
poétique.

Le dernier tercet, enfin, pose la chute


parodique mais symbolique du sonnet avec
l’image d’une lyre faite… de lacets de
chaussures.

I – L’espiègle vagabond (v. 1


à 5)
Le premier vers pose plusieurs thèmes
essentiels à cette « bohème » idéale : un
vagabondage, c’est-à-dire un déplacement
à pied qui n’a pas de but (« je m’en allais »),
une posture insouciante et désinvolte (« les
poings dans mes poches »), et la pauvreté,
qui s’illustre ici surtout dans l’usure des
vêtements (« mes poches crevées »).

Un enjambement interne (la césure passe


entre « les poings » et « dans les poches »,
coupant en deux ce complément) vient
immédiatement perturber avec espièglerie
le rythme classique de l’alexandrin.

L’autodérision apparait dès le vers 2, avec la


remarque sur le « paletot », sorte de
manteau, qui, comme les poches, « devenait
idéal ». L’humour réside dans le double sens
de l’adjectif « idéal » : le paletot est tellement
usé qu’il correspond à l’idéal de pauvreté de
cette bohème fantasmée, mais il est aussi
usé au point qu’il n’en reste plus qu’une «
idée ».

Le jeu sonore provoqué par les liaisons,


entre « paletot » et « aussi » (le son « o » est
prononcé deux fois) donne par ailleurs un
aspect cocasse au vers.

La reprise du verbe « j’allais » en tête du vers


3, qui fait écho au vers 1, mime l’aspect à la
fois rythmé et continu de la marche.

Le complément de lieu, « sous le ciel » (v. 3),


indique à la fois pauvreté et liberté :
pauvreté car il semble que le marcheur n’a
pas de couvre-chef ; liberté car rien ne fait
obstacle à la contemplation du ciel et au
contact avec la nature.

Rimbaud invoque la « Muse », divinité


antique de la poésie, juste après la mention
du ciel, suggérant un lien – dans la tradition
romantique – de la nature et de
l’inspiration.

Mais cette invocation est brusque,


inattendue, constituée d’un monosyllabe
placé à la césure et ponctué d’un point
d’exclamation. C’est une façon espiègle de
convoquer ce cliché poétique.

D’ailleurs, l’espièglerie se prolonge dans le


second hémistiche : « et j’étais ton féal ». Ce
vieux mot, choisi pour rimer avec « idéal », ne
manque pas d’humour et d’inattendu lui
non plus. Signifiant « fidèle », il confirme le
rapport religieux du poète à sa source
d’inspiration.

L’exclamation « Oh ! là là ! », tirée du
langage courant et parfaitement décalée
dans l’alexandrin classique, amplifie la
désinvolture du poète.

Cette dernière se prolonge dans


l’exclamation suivante : « que d’amours
splendides j’ai rêvées ! ». Rien ne semble
devoir être pris trop au sérieux ici : l’adjectif
« splendides », emphatique, et l’irrégularité
rythmique signale l’autodérision. Par
ailleurs, ces « amours » sont « rêvées », et non
réalisées. Le participe « rêvées », lui, rime
ironiquement avec « crevées » (v. 1), comme
si le rêve restait irréalisable et voué à l’échec.

Puis le poète achève de dépeindre l’usure de


son costume en débordant sur le second
quatrain : « Mon unique culotte avait un
large trou. » Ce débordement, au mépris des
règles classiques, donne un tour naïf et
cocasse à cet autoportrait.

Avec les termes « culotte » (son pantalon) et


« large trou » (v. 5), Rimbaud s’amuse à
couler le grotesque et le trivial dans
l’alexandrin classique.

II – Un Petit-Poucet à la
belle étoile (v. 6 à 11)
Le tiret qui ouvre le vers 6 signale un
changement d’images : Ce n’est plus en
« féal » de l’antique Muse que se présente le
poète, mais en personnage de conte, moins
solennel, plus enfantin et malicieux : « Petit-
Poucet rêveur » (v. 6).

L’adjectif « rêveur » met ce Petit-Poucet-là au


rang des poètes.

Au lieu de semer des cailloux, il sème des


rimes : « j’égrenais dans ma course / Des
rimes »

Le rejet en tête du vers 7 du complément


« des rimes » met ces rimes en valeur par
une métaphore sous-jacente : elles sont
rejetées du vers comme les cailloux sont
jetés de la poche.

Les possessifs dans les expressions « mon


auberge » (v. 7) et « mes étoiles » (v. 8)
rappellent avec humour et légèreté que
Rimbaud décrit des impressions et
sensations qui lui sont propres et
personnels.

L’auberge « à la Grande-Ourse » est une


manière de dire qu’il n’a pas d’auberge du
tout.

Le « doux frou-frou » est un son étonnant


pour des étoiles, qui évoque le bruit d’un
froissement de soieries, alors que le poète
est seul dans la nuit et dans la nature.

La phrase ne se termine pas à la fin du


quatrain, mais se prolonge au début du
premier tercet : « Et je les écoutais » (v. 9).

Le thème du voyage à pied et de la pauvreté


se poursuit avec le second hémistiche du
vers 9 : « assis au bord des routes ».

Le poète est en contact direct avec la nature,


comme l’indique le complément
circonstanciel de temps (« ces bons soirs de
septembre », v. 10) et la proposition relative
qui insiste sur l’humidité du crépuscule (« où
je sentais des gouttes », v. 10).

Le rejet du complément « de rosée » (v. 11)


met en valeur l’image de ces fines
gouttelettes d’eau pure, dont le poète est
comme baptisé (« à mon front », v. 11).

La comparaison de la rosée à « un vin de


vigueur » (v. 11) exprime à nouveau la force
que le poète puise dans la nature, autant
pour la marche que pour la poésie.

III – Une lyre faite de lacets


de chaussure : parodie des
symboles de la poésie (v. 12
à 14)
Le tableau final présente le jeune poète
assis « rimant » (v. 12) seul parmi les ombres
grandissantes et impressionnantes du soir.

Ces « ombres fantastiques » (v. 12) semblent


le plonger dans un monde magique, un peu
fantomatique.

Le vers 13 vient cependant tempérer


d’espièglerie et d’autodérision cette
posture romantique de poète solitaire et
nocturne avec une comparaison et une rime
saugrenues.

En effet, le lecteur a tout d’abord la surprise


d’entendre rimer ces « ombres fantastiques »
avec les « élastiques » (v. 13).

Puis, il est surpris par le rejet qui suit : « De


mes souliers blessés » (v. 14). L’objet – les
lacets – comme le mot « élastiques » sont
triviaux et inattendus en poésie.

Mais pire encore, ces élastiques sont


comparés à « des lyres » (v. 13). Or la lyre,
noble instrument antique, est un grand
symbole de la poésie lyrique. Elle est ici
ridiculisée par ce rapprochement.

Quant au verbe « tirais », il révèle une


manière peu gracieuse de jouer de la lyre.
Cette image est pourtant une manière de
rapprocher les deux éléments
fondamentaux de cette « bohème » : la
marche et la poésie.

Enfin, c’est un alexandrin parfaitement


équilibré et classique qui présente avec
humour l’image finale, triviale mais
symbolique, des souliers et des pieds.

Les souliers sont « blessés » (v. 14) car usés et


troués par la marche : ils font écho aux
« poches crevées » (v. 1) et au « paletot » râpé
(v. 2).

L’image finale suggère une posture


physique insouciante et désinvolte du
poète.

Mais elle joue surtout avec le double sens


du mot « pied », qui se réfère aussi bien au
membre du corps qu’à l’unité de mesure
poétique : « un pied près de mon cœur » (v.
14) noue alors à nouveau en une seule image
le thème de la marche et celui de la poésie.

Conclusion
« Ma Bohème » est un sonnet léger,
humoristique.

Il évoque des éléments autobiographiques,


tout en parodiant des postures
romantiques et des clichés de la poésie.

La forme même du sonnet est malmenée :


Rimbaud se joue des quatrains, des tercets
et des hémistiches, faisant sans cesse
déborder et enjamber l’un sur l’autre, ce qui
a pour effet de causer de nombreux
décalages rythmiques et de faire courir le
vers et le souffle en avant, comme pour
mimer le rythme de ce vagabondage
incessant.

On y lit cependant un amour fou de la


liberté, des marches solitaires, un mépris des
conventions sociales et du confort
bourgeois : c’est le sens de cette « bohème »
toute personnelle qu’annonce le titre.

Comme dans « Le Bateau ivre », la poésie


liée à la fugue est une expérience de dérive.

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59 commentaires

ely
19 avril 2023 à 15 h 52 min

bonjour merci beacoup pour ce


commentaire tres clair, j’ai juste un tout
petit soucis je ne comprends pas très bien
les allitérations et assonances, je ne
comprend pas par exemple comment elle
rappellent la douceur maternelle voilà
merci beacoup

Répondre

Emma
31 janvier 2021 à 16 h 48 min

Votre commentaire est beaucoup plus


clair que celui de mon prof donné en
classe. Vous savez rendre toutes vos
analyses super simples. C’est génial. Merci

Répondre

Aygun
1 mars 2019 à 20 h 19 min

Je vous remercie pour cet analyse


approfondie.

Répondre

Liz
4 janvier 2019 à 17 h 45 min

Bonjours,
Je n’ai pas bien compris la fonction de ce
poème ou du moins je n’arrive pas a
savoir laquelle de D.I.R.E est-ce… Pourriez
vous m’éclairer ?
Merci d’avance

Répondre

Amélie Vioux
5 janvier 2019 à 0 h 07 min

Bonjour Liz,
Les poètes attribuent différentes
fonctions à la poésie (il y en a souvent
plusieurs). Ici par exemple, on retrouve un
peu des quatre fonctions dont je vous
parle dans ma vidéo (dénoncer, inventer,
révéler et exprimer).

Répondre

Aygun
1 mars 2019 à 19 h 57 min

Je vous remercie pour cet analyse


approfondie.

Répondre

Patricia
3 avril 2020 à 11 h 37 min

Bonjour, j’ai une question: quelle est sa


forme poétique ? Je chercher encore et
encore mais je ne trouve pas je pense que
vous pourriez m’aider !

Répondre

Yanis
25 juin 2018 à 21 h 10 min

Bonjour,
Je m’entraîne à remanier les plans en
fonction des problématiques… et pour
l’oral blanc la problématique qui est
tombée sur ce poème était « ce poème
vous semble t il respecter la tradition
poétique » pouvez m’aider dans le choix
des axes… Rassurez vous ce n’est pas un
devoir maison ni du plagiat mais juste
une demande d’explications (ma
professeur de français étant en congé
maladie depusi début mai).
Je vous remercie par avance

Répondre

Hayawana
25 juin 2018 à 1 h 59 min

Bonjour Amélie !
Tout d’abord merci beaucoup pour tout
ce travail fourni, je ne sais pas ce que je
deviendrais sans vous !
J’ai par contre une seule difficulté à
propos d’une des problématiques que
vous avez proposé :
Pb : Quelle vision du poète se dégage de
ce poème ?
J’avais pensé à :
I. Un poète révolté, fugueur et libre
1. Une fugue évoquée par l’errance
suggérée dans le poème
2. La liberté dans l’errance dans la Nature
3. Une Nature à l’origine de l’inspiration
d’un poète libre dans sa création poétique
II. Une vision qui fuit le conformisme de la
société
1. Un poème écrit en correspondance avec
des éléments autobiographiques de la vie
d’un poète fuyant le conformisme de la
société
2. Un poème sous-titré « Fantaisie » qui
cède aux caprices de l’imagination, qui
s’éloigne d’un monde réel codifié.

Ducoup voilà, si vous pouviez m’aider à


savoir si le plan que j’ai élaboré à partir du
votre permet de répondre à la
problématique ce serait très gentil et cela
m’aiderait beaucoup !
Si je peux l’améliorer ?

Merci encore pour tout votre travail !

Répondre

Camille
15 juin 2018 à 18 h 27 min

Bonjour Amélie ! Merci beaucoup pour le


travail que vous fournissez sur ce blog !
J’ai une question : je n’arrive pas à saisir la
fonction de ce poème. Est-ce que c’est
exprimer ou plutôt célébrer ? Exprimer
ses sentiments par rapport à la liberté que
procure la fugue ou célébrer tout
simplement la liberté ou la nature.
Merci d’avance

Répondre

Ilyane
12 juin 2018 à 18 h 11 min

Bonjour Amélie. Merci sincèrement de


publier sur internet des commentaires de
bonnes qualités. Je suis en première S et
donc j’ai le bac de français en fin d’année.
Le problème a été que j’ai dû être
hospitalisée pendant plus d’un mois pour
des soucis de santé et je n’ai pas pu
récupéré certaines analyses (amis qui ne
prennent pas de notes et je n’ai pas osé
demander de l’aide à mon professeur).
Heureusement grâce à vos services j’ai pu
me procurer de véritables cours de
français. Vous m’avez aidé à rattraper mon
retard et à me faire encore plus
progresser que la plupart de mes
camarades présents en classe. Je vous
suis entièrement reconnaissante et je
tiens à vous féliciter pour votre dur labeur.

Répondre

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