El 13 Rimbaud

Télécharger au format docx, pdf ou txt
Télécharger au format docx, pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

Eléments d’introduction

De poète maudit au statut d’icône, Arthur Rimbaud, a frappé les esprits par son fulgurant passage dans la vie
poétique du XIXème siècle.
Les Cahiers de Douai désignent un manuscrit confié par leur auteur Arthur Rimbaud, au poète Paul Demeny à
l’automne 1870. Ils se composent d’une série de 22 poèmes, répartis en deux liasses numérotées I et II, dont la première
comporte 15 poèmes et la deuxième 7.
Jamais publié du vivant de Rimbaud, ce manuscrit, qui ne porte pas de titre, était peut-être destiné par l’auteur à
être un jour édité, sous cette forme ou sous une autre – mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude. Il ne s’agit donc pas
d’un recueil conçu de manière unitaire par le poète lui-même. Pourtant, le lecteur est capable de percevoir, à travers la
variété des textes, les composantes sensibles et thématiques communes aux différentes pièces.
Ce sonnet, dont le sous-titre est Fantaisie, fut vraisemblablement inspiré par une fugue que venait de faire Rimbaud
en Belgique à l’âge de 16 ans. Dans « Ma bohème », Rimbaud prétend conter – de manière autobiographique – une errance
en pleine nature. Derrière ce thème du bohémien démuni, mais en harmonie avec la nature, c’est un véritable art poétique
que nous offre le jeune poète. Le sonnet, plein de références directes à la poésie, fait la part belle aux audaces poétiques et
langagières, Arthur Rimbaud revendiquant une liberté autant physique que poétique.
La place en toute fin de recueil est voulue par Rimbaud qui a mieux pensé l’ensemble des sonnets que les autres
poèmes dont on n’est pas sûr de leur ordre d’apparition.
Finir le parcours du poète qui a voyagé pendant le recueil par ce poème traitant le vagabondage heureux met en
valeur le thème de la liberté, mais aussi celui de la poésie.

¡ Problématiques : Comment Arthur Rimbaud transfigure-t-il une expérience personnelle à travers sa mise en récit
poétique ? Comment Arthur Rimbaud affirme-t-il dans sa bohème une volonté de renouveler la poésie à travers une errance
qui tend déjà vers un dérèglement de tous les sens ? Dans quelle mesure ce sonnet autobiographique nous permet-il de
dégager une vision du poète ? Comment Rimbaud enchante l’errance ?

¡ Mouvements du texte :
- 1er mouvement – 1er quatrain : Le vagabondage d’un poète enthousiaste.
- 2ème mouvement – 2ème quatrain : Un « Petit-Poucet rêveur » : rêveries nocturnes d’un poète.
- 3ème mouvement - 1er et 2ème tercets : Inspiration et composition fantaisistes : La communion avec la nature / Le
bonheur de la création poétique.

 Les mots et leur usage.

Le titre :

De la série des sept sonnets confiés à Paul Demeny, celui-ci est le seul qui ne porte pas de date, mais il
paraît lié au contexte fugueur.

La « bohême » est un phénomène parisien : les héros d’Henry Murger (Scènes de la vie de bohême, 1847-
1848) vivent dans le Quartier latin. Champfleury, en 1841, la définit comme une forme d’insouciance
« roulant le pavé de Paris ». Rimbaud retient de cette bohème là l’idée de jeunesse et d’insouciance, mais il
la déplace et se l’approprie : le possessif du titre ricochera parmi les vers du sonnet : mes poches, mon
unique culotte, mon auberge, mes étoiles, mon front, mes souliers, mon cœur. Il en fait sa Bohême, et y
inscrit son credo agreste et solitaire : c’est le sens du sous-titre : Fantaisie. (Rimbaud a d’abord écrit Ma
Bohême, centré, avant d’ajouter Fantaisie, puis de décider de mettre entre parenthèses le mot Fantaisie,
comme sous-titre ou élément secondaire du titre.)

Bohême et fantaisie ne se rencontrent pas par hasard dans le titre du sonnet de Rimbaud : ils apparaissent
ensemble dans deux vers de Guillaume Viennet, cités par le Grand dictionnaire universel de Larousse, au
mot Fantaisiste : « Il faut des noms nouveaux pour ces nouveaux artistes ; / Ils se nomment entre eux
bohêmes, fantaisistes. » Fantaisie est en effet le terme de ralliement d’une école (« … ne suivre que le
caprice de [l’] imagination. »)

Les différents sens du mot fantaisie : L’origine du mot fantaisie est le mot latin fantasia qui signifie
« vision, imagination, image ». A partir de cette étymologie, ce terme désigne une œuvre ou un produit de
l’imagination qui ne correspond pas à des règles précises. On l’associe au mot chimère, mais il connote aussi
le caprice, un désir passager, une passade, un manque de sérieux, l’irrégularité, l’originalité. Il est également
employé pour désigner un morceau musical. Ici, il est intéressant de s’interroger sur le choix de ce terme
concernant une forme fixe et sur le paradoxe qui consiste à désigner par fantaisie une composition en
principe soumise à des contraintes établies.
L’éditeur doit trancher entre Bohême et Bohème.

Du point du vue graphologique, les accents de Rimbaud étant protéiformes, on ne peut absolument écarter
un accent grave. Toutefois, le poète semble avoir voulu inscrire un accent circonflexe. L’accent circonflexe
ferait du mot un toponyme désignant une région de l’Europe centrale, alors que Rimbaud désignerait une
catégorie sociologique et culturelle. Le possessif du titre permet aussi une autre explication : n’ayant rien de
matériel, le bohémien possède un royaume inaliénable puisque intérieur, Bohême de l’imagination et de la
rêverie poétiques.
Le locuteur de Ma Bohême est riche d’une double appartenance à la Bohème littéraire et à la Bohême des
gitans, symbole d’une vie errante, de la « liberté libre ». Le mot Bohème connote donc une vie errante et
aventureuse. Complété par le mot fantaisie, qui joue le rôle de sous-titre, il souligne l’idée de vagabondage
heureux et sans contraintes. Le poète réinvente, s’approprie un espace géographique qu’il reconstruit selon
un imaginaire libre.
Le sous-titre présent dans les parenthèses, « fantaisie », témoigne bien d’une certaine distance que prend le
poète avec le titre principal.
C’est certainement une invitation à lire son texte sur un mode ludique, puisque le poète semble ne pas se
prendre au sérieux.

 1er mouvement : vers 1 à 4 – Le vagabondage d’un poète enthousiaste.


Dès le premier vers apparaît un mode d’expression elliptique que la suite confirmera.

Le voyage est le thème que l’on peut immédiatement identifier, à travers les verbes de mouvement et les
indications de lieux. Les verbes de mouvement indiquent le déplacement. On trouve ainsi le verbe s’en aller,
employé sans complément, ce qui insiste sur le déplacement et non sur la destination. Il est placé au début
du vers 1 et au début du vers 3, de manière anaphorique, avec une variante (s’en aller et aller). « Je m’en
allais… », verbe de déplacement d’autant plus significatif qu’il est détaché : il n’est dit ni d’où (l’origine est
tue), ni quand, ni pourquoi.

L’imparfait employé tout au long du poème suggère que l’auteur évoque une expérience passée qui s’est
répétée. L’habitude transparaît dans ce temps qui domine l’ensemble du poème : l’imparfait à valeur
itérative (d’habitude, de répétition) “allais” ; “devenait” ; “allais” ; “étais” etc…

Le repère temporel manquera cependant d’un bout à l’autre du sonnet (titre compris) : aucun verbe au
passé simple ne le fournit. On peut combler ces ellipses avec de l’interprétation biographique : le jeune
Rimbaud, quinze ans, dira-t-on par exemple, quittait sa mère et la maison familiale, il fuguait : ce sonnet en
rend compte. Les fugues du poète adolescent, loin de sa famille et de la ville de Charleville, ont été en effet
fréquentes quand il composait ces poèmes.

Le poète, qui s’exprime à la première personne (“je” ; “mes”), adopte une attitude décontractée : “les
poings dans mes poches crevées”. Il apparaît donc qu’il est habitué de ce genre d’errances et y trouve un
certain plaisir. Les poings dans les poches ne sont plus des « mains » qui peuvent saluer, prier, travailler
surtout.

Le voyage se révèle comme une errance heureuse et fantaisiste, sans contrainte, par l’absence de
destination précise et par le plaisir qui procure. Ecrit à la 1ère personne, le sonnet retrace une expérience
personnelle présentée sous une forme lyrique : on y trouve l’expression des émotions et des sentiments
personnels. Le sonnet commence par Je et se terminera par mon cœur, indices de la présence de celui qui
parle. On peut observer d’autres marques de l’expérience personnelle.

Je est le sujet de tous les verbes du poème, verbes d’action pour la plupart : Je m’en allais, J’allais, j’ai
rêvées, ces verbes indiquent le déplacement, mais aussi la création. Celui qui parle évoque non seulement
ses actions, mais fait comprendre le plaisir et les émotions du voyage, à travers la manière dont il le
caractérise et dont il en souligne le caractère personnel. Ce dernier se révèle également dans l’utilisation très
fréquente de possessifs, mes poches, Mon paletot.

D’emblée, « crevées » amorce, quasi-explicitement, une série négative qui se déploiera dans tout le
quatrain, puisque partir avec des poches crevées et les mains dans les poches, donc sans sac, c’est partir
sans le sou, sans rien. Le poète se montre avant tout comme un vagabond qui ne possède rien. Les poches
crevées montrent qu’il n’a pas d’argent et ses vêtements sont si usés qu’ils sont réduits à des idées, des
concepts. Le vêtement n’est plus qu’une idée « idéal », tant il est usé. Ce mot nie la valeur normale du
paletot. Le poète est habillé pauvrement, mais paradoxalement, sa pauvreté n’est pas source de malheur car
le poète ne semble pas souffrir. Il fuit ainsi les conventions sociales et s’affranchit symboliquement des codes
d’une société bourgeoise qui l’oppresse. La pauvreté a donc ici un pouvoir libératoire.

« Sous le ciel » peut fonctionner comme complément de destination en même temps que d’espace
environnant. Cette périphrase, en position de complément de lieu indique que l’errance du poète a lieu en
extérieur. Ce serait un détail insignifiant s’il ne s’agissait que de dire qu’il sortait… dehors : le « ciel »
apparaît donc plutôt comme l’espace de ce marcheur-là. L’imprécision de la localisation confirme que la
destination n’a pas d’importance tant qu’il peut rester en extérieur, c’est à dire proche de la nature. Plusieurs
termes complèteront l’idée du voyage en rappelant des notions qui s’y rattachent.
Sous le ciel reprend et développe l’idée de vagabondage à la belle étoile → Insistance sur le mot ciel placé
juste avant une coupe forte et inattendue au vers 3 ou à l’hémistiche au vers 8.
On observera l’insistance sur un contexte plein de charme, par les références au ciel, par les rapprochements
avec le rêve, à travers la reprise des mots rêvées, rêveur.
Ces rapprochements passent par des associations de termes comme paletot et idéal, l’assimilation de celui
qui parle à un chevalier servant en quête de prouesse au service de la Muse, ce que souligne le
rapprochement à la rime, des mots idéal et féal connotant l’un et l’autre un contexte de mythe.

On devine que le poète est rêveur, certainement sentimental et peut-être un peu mièvre comme le laisse
penser l’évocation de la Muse et des amours splendides qui ne se sont pas réalisées. A la rime conclusive du
quatrain, le mot « rêvées » marque les amours comme irréelles.
Le poète joue avec la poésie. Il lui rend hommage en faisant appel à la muse, mais il la tourne aussi en
dérision par la déclaration d’allégeance « j’étais ton féal ». Le choix de ce terme médiéval montre une
volonté de créer une exagération qui ne peut être prise au sérieux. On peut aussi lire la dérision à travers la
chansonnette qu’il fredonne en marchant. Le son [al] largement présent dans la strophe (« paletot » / «
idéal » / « féal ») reprend en écho le mouvement initié par le verbe « aller ». L’extrême dénuement du
voyageur semble participer du bonheur simple de voyager qu’on lit à travers les interjections et les points
d’exclamation. Il semblerait que le poète fredonne une chanson comme peut le suggérer la récurrence des
sons [al] et [la]. On peut aussi noter l’allitération en -m (“m’en” ; “mes” ; “mon” ; “Muse” ; “amours”) dans
l’ensemble de la strophe qui véhicule un sentiment de douceur et de confort en contradiction avec les
difficultés matérielles.

Au vers 3 : Dans le même hémistiche, tassé d’une manière ostentatoire par le rythme 5-1 contre ce mot «
ciel », le mot « Muse » tend, (la Muse étant du ciel), à confirmer la valeur du ciel comme domaine, « féal »,
signifiant fidélité respectueuse à la Muse, cela peut suggérer qu’Arthur Rimbaud n’est le sujet d’aucune
autorité ici-bas. Cela lui permet de se rapprocher de la “Muse” qu’il apostrophe, figure de l’inspiration
poétique. On remarque qu’il se permet le tutoiement d’une figure d’habitude très respectée par les poètes.
Cette légère impertinence illustre parfaitement la rébellion du jeune Rimbaud, mais également la relation
privilégiée qu’il noue avec la poésie. A l’image de la poésie romantique, le poète errant invoque l’inspiration
venue du ciel. La Muse est apostrophée et personnifiée comme une divinité qui guide le poète.
Le tutoiement de la Muse peut également être lu comme une forme d’allégresse due à la jeunesse du poète.
Cette lecture se confirme grâce aux exclamations du vers : “Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai
rêvées !”. La langue et la versification rendent compte de la flânerie. Les alexandrins sont disloqués, au vers
4, une suite de monosyllabes désarticulent le trimètre « Oh ! là ! là ! ». Le découpage rythmique se fait
chaotique à l’image de l’avancée du jeune homme sur les sentiers.

Ainsi dans cette strophe, le poète nous livre l’image d’un personnage pauvre, mais heureux dans la simplicité
et la liberté de son errance. Par ailleurs, en plaçant à la rime l’adjectif « crevées », il défie le sens que l’on
donne généralement à ce qui est poétique. C’est d’autant plus évident que « crevées » rime avec « rêvées
» : le contraste entre le prosaïsme et le monde onirique participe de cette « fantaisie » annoncée dans le
sous-titre. On peut comprendre ici que le pouvoir de l’imagination remplace les contraintes matérielles. En
effet, ses “poches crevées” sont remplacées par des “amours splendides (…) rêvées”.
Le poète, ironique, porte un regard critique sur ses exaltations passées. Avec humour, Rimbaud tourne en
dérision la grandiloquence de la poésie romantique amoureuse.

 2ème mouvement : vers 5 à 8 – Un « Petit-Poucet rêveur » : rêveries nocturnes d’un poète.


Le premier vers de la seconde strophe vient confirmer cette pauvreté matérielle : “mon unique culotte avait
un large trou”. D’une part le personnage ne possède qu’une “unique culotte”, qui d’autre part est trouée. Au
début du deuxième quatrain, en rime du premier vers, « trou » annule au moins la fonction sociale de
l’unique « culotte » (pantalon long sans doute) : le sujet n’est pas présentable.

Le récit de cette fugue en pleine nature se poursuit et le poète se compare explicitement au personnage bien
connu d’un conte, le Petit Poucet.

[Le petit Poucet du conte de Perrault (1697), enfant de « sept ans », était le plus jeune des sept enfants d’un
couple de pauvres bûcherons. Plus jeune et de petite taille, on le croyait bête ; en réalité il était fort avisé.
Par une année de famine, pour ne pas les voir mourir de faim, les parents décident d’abandonner leurs
enfants dans un bois. Ayant surpris leur conversation, le petit Poucet va « emplir ses poches de petits
cailloux blancs » qu’il laisse tomber le long du chemin de l’abandon. Ils peuvent ainsi retrouver le logis
familial. (Pourtant l’enfant qui a organisé ce retour au foyer était « le souffre-douleur de la maison et on lui
donnait toujours le tort »). Revenus là, cachés, ils entendent leur mère dire « Hélas ! les loups les ont peut-
être déjà mangés ! ». Les parents les ayant retrouvés les emmènent une seconde fois plus loin pour les
perdre. Le petit Poucet n’ayant pu se munir de cailloux jette son pain par miettes le long des chemins du
second abandon ; mais les oiseaux les mangent, et le chemin du retour est ainsi perdu. À la fin du conte, le
petit Poucet dérobe à un ogre ses « bottes de sept lieues », « fort grandes et fort larges », mais il peut les
chausser, car elles sont magiques et s’ajustent à la jambe de celui qui les chausse ; grâce à elles il peut
donner à l’histoire une conclusion heureuse où il retrouve « le logis de son père ».]

La métaphore du “Petit-Poucet rêveur” est intéressante car elle permet de filer le thème de la pauvreté (le
Petit-Poucet est issu d’une famille pauvre), tout en introduisant l’idée que la poésie est son guide.

À la place des cailloux, le poète « égrène » les « rimes », qui deviennent ainsi les guides, les repères à
suivre. Mais contrairement au personnage du conte, le poète ne cherche pas à rentrer dans sa famille dont il
aurait été exclu sans le vouloir. Le départ du poète est volontaire et se conçoit sans retour.

[Le modèle, abandonné par ses parents, pour les retrouver, utilise des cailloux, puis du pain ; les poches «
crevées » du premier vers du sonnet peuvent rétrospectivement apparaître comme un indice de départ sans
moyen de retour, et les « rimes » égrenées, comme un non-moyen de retour (comme le pain). Le premier
met donc son intelligence au service d’une fidélité filiale et le second au service de sa libération pour se
soustraire seul, sans le sou et fidèle à la seule Muse, à une vie sociale réglée.]

Le poète se montre donc dans le plus grand dénuement (v. 5 et 7). Loin d’être mal vécue, la pauvreté
constitue une entrée vers l’inspiration poétique.

Dans le conte original, le Petit-Poucet sème des miettes de pain pour retrouver son chemin. Ici, le poète
laisse derrière lui “des rimes”. Il insiste sur cet élément en le plaçant au centre du poème (vers 7 sur 14) et
en le rejetant grâce à un procédé d’enjambement. Donc, comme le Petit-Poucet, Rimbaud aurait fui sa
famille. Mais il laisse derrière lui quelque chose de bien plus durable que des miettes de pain : de la poésie.

On retrouve dans cette strophe l’idée d’euphorie et d’allégresse introduite dans la première strophe. En effet,
le poète évoque sa “course”, comme s’il courait sans but. C’est apparemment dans sa marche que le sujet du
sonnet égrène des rimes ; mais le sonnet dit : « dans [sa] course ». Est-ce une course pour mieux rimer
avec la Grande Ourse ?

Ma Bohême peut convenir à l’énergie de la fuite et à un désir éperdu de se libérer.

v. 7. La métaphore “Mon auberge était à la Grande-Ourse” suggère qu’il dort à la belle étoile. Il renforce
ainsi à la fois le sentiment de liberté et l’idée de pauvreté. La « Grande-Ourse » nie clairement la réalité
d’une auberge normale. Cependant, le fait de dormir dehors lui permet surtout de trouver l’inspiration
poétique. Le défaut de logis donne au poète l’occasion d’observer les étoiles qui se rendent accessibles à des
sens inattendus, l’ouïe et le toucher par le « doux frou-frou » qu’elles émettent. Il voit naître des
correspondances entre les sens en s’appropriant la nature : “Mes étoiles”, ici le déterminant possessif de
première personne montre qu’il se sent en harmonie avec le ciel. Le fait qu’il évoque les étoiles normalement
perçues avec la vue grâce au toucher (“un doux frou-frou”) montre qu’il est capable de s’approprier la
nature, et surtout de percevoir et ressentir les choses différemment. C’est pour lui le propre du poète, la
création de correspondances entre les sens et l’expression grâce au langage écrit d’une perception (cf.
synesthésies baudelairiennes).

Le registre merveilleux, propre aux contes, amorcé par la figure du Petit-Poucet, ouvre la voie à un univers
fantastique et magique. Le vagabondage prend alors une dimension cosmique : le poète dort à la belle
étoile, les étoiles s’animent et émettent de légers bruits.
« … doux frou-frou » → Onomatopée attestée en 1738, associée au bruit de soie de l’élégance (Edmond et
Jules Goncourt, Renée Mauperin, 1864), l’exemplaire de la Grammaire nationale de Bescherelle, utilisé et
annoté par la famille Rimbaud et peut-être par Rimbaud lui-même, porte une note manuscrite évoquant « le
frou-frou du rouet ».

On attendrait une perception par la seule vue, mais ce décuplement des moyens d’observer l’univers offre au
poète une position supérieure.

Il a été suggéré, non sans plausibilité, que, dans le « ou… ou… » catatonique de la rime « trou = frou-frou »
et dans le « doux froufrou » lui-même conclusif du huitain, on pouvait imaginer le cri du loup. Auquel cas, il
serait significatif, et dans l’esprit d’inversion du conte du Petit-Poucet, qu’au hurlement qui terrorise les
enfants abandonnés soit substitué le son qui charme l’enfant libéré (en même temps, peut-être, qu’aux filles
sont substituées des étoiles !).

 3ème mouvement : Inspiration et composition fantaisistes : La communion avec la nature / Le


bonheur de la création poétique.
La troisième strophe démarre en continuité directe de la deuxième. Il s’agit de la même phrase, connectée
par une conjonction de coordination : “Et je les écoutais”. Ainsi, Rimbaud poursuit sa déconstruction du
sonnet classique tout en confirmant la correspondance des sens. En effet, il affirme écouter les étoiles, après
les avoir touchées. Le tercet enchaîne par « et » sur le « frou-frou » du vers précédent (bruit associé à la
séduction féminine) comme musique des étoiles amies. Le poète met ses sens en éveil pour capter l’univers
qui l’entoure. C’est ainsi qu’il « écoute » les étoiles quand on s’attendrait à ce qu’il les regarde. Il semble
entretenir un rapport privilégié avec la nature et le monde qu’il traverse.

On lit aussi la prédominance de l’imaginaire sur le réel, le poète ayant la tête dans les étoiles : il écoute la
musique des étoiles (simple rêverie ou référence à la musique des sphères célestes développée dans
l’Antiquité et la poésie savante néoplatonicienne de la Renaissance ?).

L’attitude du poète (“assis au bord des routes”) est très évocatrice [→ Ne pas sous-entendre : sur un siège
dans une auberge). Celui qui s’arrête au terme d’une journée de marche a besoin de boire et de se restaurer
comme le marcheur qui, dans un sonnet signé d’octobre 70, s’arrête au Cabaret-Vert pour commander des
tartines et une chope de bière.]

On l’imagine tout à fait “écouter” les étoiles, un carnet en main, pour retranscrire ses émotions et
sentiments sous la forme de poèmes.

Son vagabondage « au bord des routes », source de bien-être, est transfiguré.

v. 10. L’adjectif mélioratif “bon” insiste sur le bonheur du poète. Il est heureux dans la simplicité de sa
situation. La précision temporelle du mois de “septembre” permet de relier le poème à l’expérience de la
seconde fugue de Rimbaud, en septembre 1870. Fugue pendant laquelle il aurait justement écrit ce sonnet.

Le poète fait de nouveau appel à une correspondance des sens à la fin de la troisième strophe : “je sentais
des gouttes / De rosée à mon front, comme un vin de vigueur”. Ici, il évoque d’abord une sensation liée au
toucher pour la ramener ensuite au goût avec le vin. La rosée provoque de multiples sensations (couleur,
parfum, goût, toucher) qui établissent des correspondances (synesthésie).

v. 11. La rosée, présentée ici en rejet, est traditionnellement considérée comme venant du ciel physique et
symbolise les bienfaits du ciel divin : le Dictionnaire de Bescherelle cite à l’article rosée : « La rosée du ciel.
Les bienfaits du ciel, […], son heureuse influence ». On connaît la goutte d’eau-de-vie, mais de quelle
boisson s’agit-il ? « … des gouttes / De rosée à mon front, comme un vin de vigueur » : le groupe
syntaxique « des gouttes de rosée » affiche « De rosée » en rejet. Le liquide ainsi métriquement mis en
valeur est « comme un vin », mais pas un vin.

La nature procure au poète une nourriture spirituelle. Les « bons soirs de septembre » évoquent également
le mois des vendanges quand les fruits arrivent à maturation.

« … comme un vin de vigueur » → cette périphrase désignant une eau de vie évoque l’élan vital de la nature
qui a sur le poète le même effet qu’un alcool fort, à savoir l’ivresse des sens.
Ce rejet est inclus dans un autre : le groupe syntaxique « je sentais des gouttes de rosée à mon front »
semble laisser aussi en rejet le mot : « front ». On ne boit pas avec le front : ce marcheur semble se
contenter de la rosée et de son front au lieu d’une boisson et de son gosier, notions ainsi quasi-niées ou du
moins substituées.

Dans ce symbolisme, le front (contextuellement substitué à la bouche) n’est pas simplement une partie du
corps. Au début des Poètes de sept ans, la Mère ne voit pas en son enfant « sous le front, […] l’âme ». Non
seulement le front recouvre l’âme, mais dans divers gestes rituels religieux – apposition des mains ou d’huile
consacrée –, c’est par son contact qu’on faisait passer l’influence divine : en sentant, le front peut recevoir.

Ainsi, au premier tercet, assis en fin de journée, en guise de restauration, l’enfant, écoutant la musique des
étoiles, reçoit au front la rosée du ciel (ciel associé dès le premier quatrain à la Muse).

***
Au second tercet, comme une conséquence naturelle de l’influence du ciel, succède l’expression d’une
activité poétique de l’enfant inspiré.
On remarque de nouveau un phénomène d’enjambement. La fréquence de ces déséquilibres dans la
versification peut évoquer le comportement erratique du poète qui court (v.6) puis s’assoit (v.9), dort à la
belle étoile (v.7) ou encore s’exclame de bonheur (v.4).

v. 12. Le pronom relatif “où” au début de la strophe renvoie aux “bons soirs de septembre” (vers précédent).
Le poète affirme donc ici avoir profité de sa fugue pour écrire de la poésie. Le participe passé “rimant”
désigne l’activité d’écriture du poète.

“Au milieu des ombres fantastiques” propose un cadre onirique légèrement effrayant. Il s’agit en fait de la
perception de la tombée de la nuit par le poète dont l’imagination refaçonne le réel. On sait que, comme
« splendides », « fantastiques » est un faux-ami pour certains lecteurs qui aujourd’hui reçoivent ces mots
simplement comme des superlatifs (très beau, très bien…), sans rattacher « fantastiques » au sous-titre du
poème, « fantaisie ».

L’imagination (associée au « rêve ») peut être poétique ou simplement trompeuse, et favorable ou nuisible.
Les « ombres » des « soirs » sont d’abord « fantastiques » en ce sens qu’elles provoquent l’imagination qui,
dans une atmosphère de peur, peut en faire des monstres redoutables comme pour la fille du sonnet « Rêvé
pour l’hiver », lui aussi daté d’octobre 1870. Par référence à cette atmosphère, il est paradoxal qu’un enfant
seul le soir dans la nature « au milieu des ombres fantastiques », au lieu d’être épouvanté, « rime ».

À cet égard encore la sérénité poétique du petit Poucet libre du sonnet peut être une image contrastive de
l’angoisse d’abandon du petit Poucet du conte.

Nous voyons donc dans ces deux strophes que deux phénomènes s’opèrent conjointement. D’une part, le
poète témoigne de son harmonie avec la nature et du bonheur qu’il trouve dans ses errances. D’autre part,
on commence de voir naître le poème, inspiré par les correspondances perçues par le poète.

v. 13. Le poète est entré dans une forme de transe poétique, c’est-à-dire un délire, ou plutôt un “des lyres”
comme le suggère le jeu de ce vers. S’il estime que l’écriture d’un poème revient à “tir(er) les élastiques”,
cela signifie que le langage permet de distendre, donc d’adapter et de modifier le réel. Rimbaud affirme donc
ici sa vision de la poésie et du langage : ils permettent de transformer la réalité.

La rime entre “fantastiques” et “élastiques” permet à Rimbaud de refuser le sérieux généralement attribué
au poète. Pour lui, la légèreté et la spontanéité doivent primer, même, ou surtout, dans la création poétique.

Promu de manière provocante à la césure, le « je » est significatif. Rimbaud est encore un enfant, ou
presque. Il fait partie de l’éducation traditionnelle de réprimer l’affirmation verbale du moi, notamment à
travers des préceptes du genre « Il ne faut pas dire Moi, je », « Il ne faut pas sans cesse dire je… ».

La présence de la première personne du singulier est dominante. On relève sept occurrences de « je » en


fonction de sujet, le poète étant l’acteur unique de cette expérience et de sa création. Les déterminants
possessifs de première personne sont aussi nombreux (sept occurrences aussi) : le monde entier appartient
au poète. Et de fait, puisque c’est le monde qu’il crée par son travail poétique et son inspiration : tiré de son
imaginaire, ce monde est bien à lui.
La mention des « lyres » de l’acte de « rimer », créent un lien entre le poète et Orphée qui enchante la
nature quand il joue de sa lyre. On pense aussi à la poésie lyrique à cause de la référence au « cœur » qui
clôt le poème. Mais le poète ne se prend pas au sérieux, comme le sous-titre le suggère et comme
l’annoncent peut-être aussi les « ombres fantastiques » (s’agit-il, avec cette observation du monde par des
sens différents de ceux avec lesquels on le perçoit habituellement de signaler que l’imagination du poète se
substitue à la réalité ?).

Ainsi, ce nouvel Orphée qui compose des poèmes au contact de la nature le fait-il sur un instrument
dégradé. En guise de lyre, il y a des « souliers blessés » et les cordes deviennent de simples « élastiques ».

v. 14. L’enjambement du dernier vers ramène les “élastiques” à une réalité plus basse grâce au complément
du nom “de mes souliers blessés”. Ainsi, on voit que tout part du réel, puisque le poète est en fait en train de
jouer avec ses vieilles chaussures quand lui vient l’inspiration.

Les « ombres fantastiques » et les « lyres » contrastent fortement avec les « élastiques » des « souliers ».

L’adjectif “blessés” épithète du nom “souliers” forme une hypallage. L’adjectif devrait plutôt compléter le nom
“pied”. En tout cas, cela suggère que l’errance du poète lui laisse des stigmates physiques.

On retrouve bien ici l’idée de sacrifice de soi pour la poésie. Idée chère à Baudelaire ou Musset, entre autres,
qui font du poète un voyant sacrifiant sa vie pour faire “voir” aux autres.

L’un des sens que l’on peut attribuer à la dernière exclamation du poème : “un pied près de mon cœur !”. Le
sens de pied est problématique car il fait osciller la lecture entre deux possibilités : soit l’on parle du pied qui
est l’unité de mesure en poésie, dans ce cas, Rimbaud voudrait affirmer que la poésie est la chose la plus
importante pour lui, car elle est “près de (s)on cœur”. Il est également possible de donner le sens habituel
au mot “pied”. Dans ce cas, Rimbaud revient à son goût pour l’errance et la liberté. Le pied serait la partie la
plus importante de son corps car il lui permet de rester toujours en mouvement.

Il est intéressant de voir le sonnet finir par une double-lecture. En effet, traditionnellement le sonnet termine
par une chute qui éclaire le sens des autres strophes.

On remarque également que l’enthousiasme transcrit par l’exclamation est rendu également par une
accélération du rythme de lecture. En effet, tous les mots du dernier hémistiche du poème sont des
monosyllabes : “un / pied / près / de / mon / cœur”. Cela donne un effet de fulgurance, comme une dernière
phrase, un dernier vers jeté sur le papier avant le silence.

C’est encore un rejet qui, au dernier vers – clef de voûte du sonnet, donc position remarquable pour une
telle discordance – détache la notion « De mes souliers blessés » alors qu’un poète rimant comme on joue
de la lyre ne devrait pas normalement se servir de ses souliers, mais plutôt d’un instrument d’écriture ou de
musique ; c’est encore par implication négative de la substitution des souliers que l’enfant semble faire de la
poésie sans un tel instrument.

Dans le dernier vers rendu discordant par son rejet initial, se distingue enfin, comme sa pointe extrême,
l'hémistiche conclusif « un pied près de mon cœur ».

Cet enfant poète a un cœur (comme d'autres poètes, y compris Musset qui dit au poète de se le frapper, car
là est la source de poésie), mais au lieu d'une main pour se le frapper (afin que gicle comme du sang la
poésie), il a un pied. Cette absence de main peut boucler le sonnet : le marcheur partait les poings dans les
poches. Au lieu de lyre et de main pour jouer de la musique/écrire de la poésie, il a pour se libérer des
souliers et des pieds. Alors, la poésie, c'est le pied qui libère, pas la main qui même en écrivant peut
s'asservir. Trois ans plus tard, dans Une Saison en enfer, la main apparaîtra comme l'organe du travail
asservi, y compris d'écrivain, dans ce passage de « Mauvais sang » : « J'ai horreur de tous les métiers. […]
La main à plume vaut la main à charrue. – Quel siècle à mains ! – Je n'aurai jamais ma main. Après la
domesticité mène trop loin […] moi, je suis intact ». Encore, dans le « moi, je », ce moi libre

A l'échelle du sonnet, il peut être pertinent qu'avec la fière allure de celui qui va non seulement debout, mais
« sous le ciel » (premier quatrain), contraste finalement l'humble posture de celui qui, assis au bord de la
route (sol) et même replié en son intimité, rapproche son pied de son cœur.

Compte tenu de la chute du sonnet et de son allure globale, le vers qui au premier quatrain s'y distinguait
par le ton, « J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal » peut apparaître, rétrospectivement, comme un
panneau dans lequel le lecteur n'aurait pas dû tomber, car il tendait à convoquer, par des notions et un
langage usés jusqu'à la corde, l'image stéréotypée du poète « féal » (en style troubadour) de la « Muse »,
qui vient du ciel et pourrait bien lui tendre un luth…. Ce vers détonait en fait non seulement dans le quatrain,
mais dans la production de son auteur, comme bizarre. Mais si ce ton est pris au sérieux, – et le premier
tercet est rassurant à cet égard –, la chute du sonnet n'en est que plus rude...

La marche et la poésie, confondues dans leur valeur libératoire.


CONCLUSION

Récit d’une évasion à la fois terrestre et céleste, qui s’associe par métaphore, à la création poétique, le poème
illustre l’inventivité fantaisiste du jeune poète et justifie le double titre, « Bohème » et « Fantaisie ».
Le voyage se révèle comme une errance heureuse, sans contrainte, par l’absence de destination précise et par le
plaisir qu’il procure. La manière de présenter le voyage, vagabondage heureux et créatif d’un jeune héros ivre de liberté et
désireux de s’approprier le monde environnant, associe de manière assez nette le voyageur au poète et le voyage à la
création poétique.
Le voyage et la poésie sont indissociables, parce qu’ils présentent des caractéristiques semblables et parce qu’ils ont
des fonctions qui se ressemblent. C’est ce que suggère Rimbaud dans « Le bateau ivre ».
L’enfant voyageur, soumis à la Muse par un serment féodal de fidélité est avant tout un poète qui sait trouver son
inspiration dans le monde qui l’entoure. Le voyage et la poésie sont deux instruments de découverte et deux instruments de
liberté. On peut dire qu’ils ouvrent l’un et l’autre sur un ailleurs historique, géographique et cosmique.
Au voyage synonyme de liberté de mouvement et d’itinéraire, correspond donc l’expérience poétique synonyme,
pour Rimbaud, de liberté de création : avoir choisi la forme du sonnet pour l’exprimer témoigne à la fois d’irrévérence, de
fantaisie et de virtuosité paradoxale.
Le sonnet traditionnel subit ainsi quelques modifications par rapport aux codes de cette forme fixe : liberté de ton,
termes nobles et triviaux mêlés, liberté de composition concernant le nombre de rimes et leur nature, présence de tirets,
enjambements inattendus et déconcertants.
Le poète refuse les contraintes du sonnet classique et propose une vision renouvelée de la poésie : pleine de mystère
et de possibilités.
La tradition poétique est ici métamorphosée par l’imaginaire et la puissance lyrique du poète, nouvel Orphée
moderne.
Le poète est donc à la fois le marginal dans la société et l’innovateur dans la forme et le langage : il « se fait voyant » (voir la
lettre de Rimbaud à Paul Demeny).
Arthur RIMBAUD fait de la poésie ce voyage magique dans un univers qui est autant celui des lieux découverts que
celui des mots révélés.
« Ma Bohème » est une préfiguration d’une revendication de liberté poétique dans une création poétique qui est
écoute du monde et dépassement de ses frontières terrestres et humaines.
« Ma Bohème » annonce les Illuminations.

Vous aimerez peut-être aussi

pFad - Phonifier reborn

Pfad - The Proxy pFad of © 2024 Garber Painting. All rights reserved.

Note: This service is not intended for secure transactions such as banking, social media, email, or purchasing. Use at your own risk. We assume no liability whatsoever for broken pages.


Alternative Proxies:

Alternative Proxy

pFad Proxy

pFad v3 Proxy

pFad v4 Proxy