Ma Bohème LL Complète
Ma Bohème LL Complète
Ma Bohème LL Complète
Le sonnet est une forme poétique de tradition très contrainte. Pourtant, lorsqu’il fugue pour
s’émanciper du carcan maternel et social, c’est cette forme que choisit Arthur Rimbaud pour
composer ses premiers poèmes.
Comme Baudelaire avant lui, il s’empare d’une forme ancienne pour y souffler un vent de
liberté et exprimer sa rebellion.
Présentation de l’auteur
La courte vie d’Arthur Rimbaud est bien celle d’un rebelle, d’un poète qui refuse les
conventions et les compromis.
Enfant sage, bon élève, il brille principalement dans les disciplines littéraires. C’est sa
rencontre avec son professeur Georges Izambard qui va le pousser à s’intéresser à la
littérature en tant qu’artiste.
Commence une quête de liberté pour le jeune Rimbaud. Quête qui s’exprime par des fugues
répétées, et par une volonté de révolutionner le langage poétique.
Finalement, après des années chaotiques passées aux côtés de Paul Verlaine, à écrire et à
vivre follement, Arthur Rimbaud décide d’arrêter définitivement la poésie.
Présentation de l’oeuvre
Le poème « Ma bohème » se trouve dans la seconde partie du premier recueil d’Arthur
Rimbaud : Cahier de douai. Ce recueil dont Rimbaud écrit les poèmes à l’occasion de ses
fugues en 1870 ne sera publié qu’après sa mort, en 1919.
Présentation du poème
Dans « Ma bohème » Arthur Rimbaud prétend conter – de manière autobiographique ? – une
fugue, une errance en pleine nature.
Pourtant, derrière ce thème du bohémien démuni mais en harmonie avec la nature, c’est un
véritable art poétique que nous offre le jeune poète.
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Le sonnet, plein de références directes à la poésie, fait place belle aux audaces poétiques et
langagières. Il revendique une liberté autant physique que poétique.
Le fil conducteur : le
poème « Ma bohème » d’Arthur Rimbaud donne
une triple image de la liberté.
Plan
Pour mener cette analyse linéaire du poème « Ma bohème » d’Arthur Rimbaud, nous
suivrons le mouvement naturel du texte en adoptant un découpage par strophe.
Ma bohème
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse, et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !
Le poète, qui s’exprime à la première personne ( “je” ; “mes” ), adopte une attitude
décontractée : “les poings dans mes poches trouées”. Il apparaît donc qu’il est habitué de ce
genre d’errances et y trouve un certain plaisir.
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L’habitude transparaît également dans le temps qui domine l’ensemble du
poème : l’imparfait à valeur itérative (d’habitude, de répétition) “allais” ; “devenait” ;
“allais” ; “étais” etc.
Pourtant, ce qui apparaît également dès le premier vers, c’est que le personnage se trouve
dans un certain dénuement : ses poches sont “crevées” ; son paletot devient “idéal” (vers 2),
ce qui signifie qu’il est en si mauvais état qu’il n’est plus qu’une idée.
Ainsi, même si le poète semble souffrir de pauvreté, son errance lui procure une aisance et
un plaisir lui faisant oublier ses problèmes.
Ce tutoiement peut également être lu comme une forme d’allégresse due à la jeunesse du
poète. Cette lecture se confirme grâce aux exclamations du vers suivant : “Oh ! là là ! que
d’amours splendides j’ai rêvées !”
On voit très bien que le personnage / poète se laisse emporter par sa fougue et le bonheur
qu’il ressent à errer librement dans la nature.
Autre phénomène intéressant, dans la strophe 1 ainsi que dans la strophe 2, les auxiliaire être
et avoir s’entrecroisent : “j’étais ton féal” (v.3) / “avait un large trou” (v.5) ; “Mon
auberge était à la Grande-Ourse” (v.7) / “avaient un doux frou-frou” (v.8).
On peut penser que le poète veut montrer qu’être est plus important qu’avoir. Donc qu’il
préfère vivre libre dans le dénuement, qu’opprimé dans l’opulence.
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Enfin, observons les deux mots à la rime des vers 1 et 4 : “crevées” / “rêvées”. On peut
comprendre ici que le pouvoir de l’imagination remplace les contraintes matérielles. En
effet, ses “poches crevées” sont remplacées par des “amours splendides (…) rêvées”
Ainsi dans cette strophe, le poète nous livre l’image d’un personnage pauvre, mais heureux
dans la simplicité et la liberté de son errance.
La métaphore du “Petit-Poucet rêveur” au vers suivant est intéressante car elle permet de
filer le thème de la pauvreté (le Petit-Poucet est issu d’une famille pauvre) tout en
introduisant l’idée que la poésie est son guide.
Dans le conte original, le Petit-Poucet sème des miettes de pain pour retrouver son chemin.
Ici, le poète laisse derrière lui “des rimes”. Il insiste sur cet élément en le plaçant au centre
du poème (vers 7 sur 14) et en le rejetant grâce à un procédé d’enjambement.
Donc, comme le Petit-Poucet, Rimbaud aurait fui sa famille. Mais il laisse derrière lui
quelque chose de bien plus durable que des miettes de pain : de la poésie.
On retrouve dans cette strophe l’idée d’euphorie et d’allégresse introduite dans la première
strophe. En effet, le poète évoque sa “course”, comme s’il courait sans but.
La métaphore du vers 3 “Mon auberge était à la Grande-Ourse” suggère qu’il dort à la belle
étoile. Il renforce ainsi à la fois le sentiment de liberté et l’idée de pauvreté.
Cependant, le fait de dormir dehors lui permet surtout de trouver l’inspiration poétique. Il
voit naître des correspondances entre les sens en s’appropriant la nature : “Mes étoiles”, ici
le pronom possessif de première personne montre qu’il se sent en harmonie avec le ciel.
Le fait qu’il évoque les étoiles normalement perçues avec la vue grâce au toucher (“un doux
frou-frou”) montre qu’il est capable de s’approprier la nature, et surtout de percevoir et
ressentir les choses différemment.
C’est pour lui le propre du poète, la création de correspondances entre les sens et
l’expression grâce au langage écrit d’une perception unique des choses.
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Ainsi, Rimbaud poursuit sa déconstruction du sonnet classique tout en confirmant la
correspondance des sens. En effet, il affirme écouter les étoiles, après les avoir touchées.
L’attitude du poète (“assis au bord des routes”) est très évocatrice. On l’imagine tout à fait
“écouter” les étoiles, un carnet en main, pour retranscrire ses émotions et sentiments sous la
forme de poèmes.
Au vers suivant, l’adjectif mélioratif “bon” insiste sur le bonheur du poète. Il est heureux
dans la simplicité de sa situation.
Le poète fait de nouveau appel à une correspondance des sens à la fin de la troisième
strophe : “je sentais des gouttes / de rosée à mon front, comme un vin de vigueur”. Ici, il
évoque d’abord une sensation liée au toucher pour la ramener ensuite au goût avec le vin.
Cela montre bien que les choses les plus simples et ordinaires de la nature comme la rosée le
nourrissent ; à la fois au sens propre en lui redonnant des forces comme le “vin de vigueur”
et au sens figuré en l’inspirant.
La nature est donc belle est bien un hôte agréable : elle fournit une “auberge” (v.7) au poète
et le revigore.
Nous voyons donc dans ces deux strophes que deux phénomènes s’opèrent conjointement.
D’une part, le poète témoigne de son harmonie avec la nature et du bonheur qu’il trouve dans
ses errances. D’autre part, on commence de voir naître le poème, inspiré par les
correspondances perçues par le poète.
À commencer par le participe passé “rimant” qui désigne l’activité d’écriture du poète. “Au
milieu des ombres fantastiques” propose un cadre onirique légèrement effrayant. Il s’agit en
fait de la perception de la tombée de la nuit par le poète dont l’imagination refaçonne le réel.
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Par ailleurs, si le verbe “rimer” évoque directement la poésie, il ne fait en fait que reprendre
un champ lexical présent depuis la première strophe : “idéal” ; “Muse” ; “féal” ; “amours
splendides” ; “rimes”.
Le pronom relatif “où” au début de la strophe renvoie aux “bons soirs de septembre”. Le
poète affirme donc ici avoir profité de sa fugue pour écrire de la poésie.
Il est entré dans une forme de transe poétique, c’est à dire un délire, ou plutôt un “des lyres”
comme le suggère le jeu de mots du vers 13.
S’il estime que l’écriture d’un poème revient à “tir(er) les élastiques”, cela signifie que le
langage permet de distendre, donc d’adapter et de modifier le réel. Rimbaud affirme donc ici
sa vision de la poésie et du langage : ils permettent de transformer la réalité.
Pourtant, l’enjambement du dernier vers ramène les “élastiques” à une réalité plus basse
grâce au complément du nom “de mes souliers blessés”. Ainsi, on voit que tout part du réel,
puisque le poète est en fait en train de jouer avec ses vieilles chaussures quand lui vient
l’inspiration.
L’adjectif “blessés” épithète du nom “souliers” forme une hypallage. L’adjectif devrait
plutôt compléter le nom “pied”. En tout cas, cela suggère que l’errance du poète lui laisse
des stigmates physiques.
On retrouve bien ici l’idée de sacrifice de soi pour la poésie. Idée chère à Baudelaire ou
Musset, entre autres, qui font du poète un voyant sacrifiant sa vie pour faire “voir” aux
autres.
C’est l’un des sens que l’on peut attribuer à la dernière exclamation du poème : “un pied près
de mon coeur !”.
Le sens de pied est problématique car il fait osciller la lecture entre deux possibilités : soit
l’on parle du pied qui est l’unité de mesure en poésie, dans ce cas, Rimbaud voudrait
affirmer que la poésie est la chose la plus importante pour lui, car elle est “près de (s)on
coeur”.
Il est également possible de donner le sens habituel au mot “pied”. Dans ce cas, Rimbaud
revient à son goût pour l’errance et la liberté. Le pied serait la partie la plus importante de
son corps car il lui permet de rester toujours en mouvement.
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Il est intéressant de voir le sonnet finir par une double-lecture. En effet, traditionnellement le
sonnet termine par une chute qui éclaire le sens des autres strophes.
Ici, on constate que le poète refuse les contraintes du sonnet classique et propose une vision
renouvelée de la poésie : pleine de mystère et de possibilités.
On remarque également que l’enthousiasme transcrit par l’exclamation est rendu également
par une accélération du rythme de lecture. En effet, tous les mots du dernier hémistiche du
poème sont des monosyllabes : “un / pied / près / de / mon / coeur”.
Cela donne un effet de fulgurance, comme une dernière phrase, un dernier vers jeté sur le
papier avant le silence.
Rappel du développement
Nous avons pu voir que ce poème propose une vision autobiographique des thèmes de
l’errance et de la bohème en pleine nature.
Cependant, il apparaît au fur et à mesure des vers, que c’est un art poétique que nous livre ici
Arthur Rimbaud. Il donne à voir un poème qui se construit au gré de ses pérégrinations.
Ainsi, le poème « Ma bohème » d’Arthur Rimbaud donne une triple image de la liberté.
D’abord, la liberté est celle de l’individu qui trouve son bonheur dans l’errance, dans
l’harmonie avec la nature et dans l’affranchissement des contraintes sociales.
Ensuite, la liberté est celle de la poésie qui transparaît à travers la forme du sonnet
retravaillée, ou du tutoiement de la Muse.
Enfin, la liberté est surtout celle de créer une nouvelle image du réel. Le poète laisse sa
perception guider son écriture et remodèle la réalité grâce à la poésie.
Ouverture
Les fugues de Rimbaud, par la bouffée de liberté qu’elles représentent pour lui, ont beaucoup
inspiré sa poésie. On trouve par exemple les thèmes de l’errance et de l’émancipation dans le
court poème “Sensation“, ou dans le sonnet “Au cabaret-vert“.