Les Atouts Et Les Faiblesses de La Réglementation Uniforme de L'Ohada

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Ohadata D-13-36

Les atouts et les faiblesses de la réglementation uniforme de


l’OHADA
par
KOUASSI KOUADIO
Magistrat, Enseignant de Droit Privé, Directeur des Etudes, de la Législation et de la Documentation,
Ministre d’Etat, Ministère de la Justice, Président de la Commission Nationale OHADA

Actualités Juridiques, Edition économique n° 4 / 2012, p. 89.

Un environnement social favorable à la prospérité des affaires économiques et commerciales


se caractérise par une sécurité juridique et judiciaire résultant de l’existence de règles et d’une
justice transparentes régissant les acteurs et les activités économiques. En effet, de type
individuel ou collectif, l’entreprise est une unité de décisions économiques qui utilise le
travail pour produire des biens et des services, dans un but de profitabilité. Lorsqu’elle entend
développer ses activités à l’étranger, elle a besoin d’un cadre juridique et judiciaire sécurisé.1

Or, dans les pays de la « zone franc », tant en Afrique de l’Ouest que du Centre, régnait, à la
fin des armées quatre-vingts et au début des années quatre-vingt-dix, un climat d’insécurité
juridique et judiciaire. Quelques années après leur indépendance, la production normative de
ces pays a, en effet, connu une sorte d’éclectisme : alors que certains Etats n’avaient pas
légiféré du tout dans de nombreux domaines du droit, si bien que leur législation, dans
certains secteurs, était dépassée (elle remontait parfois au 19ème siècle ou au début du
20e siècle), d’autres Etats, les moins nombreux, avaient légiféré en s’inspirant du droit
français ou étranger moderne, soit en le recopiant fidèlement, soit en en faisant la synthèse, et
en tentant de l’adapter aux données économiques et sociales nationales et à leur propre ordre
juridique.2

Il est, ainsi, résulté de cet ensemble de réformes législatives, des fissures et des dérives qui
menaçaient le bloc homogène du droit des affaires légué en 1960, qui comporte encore, des
sous-ensembles, soit dépassés, soit d’avant-garde, selon les pays et les matières réformées.
Dans ce contexte juridique où est intervenu de surcroît, le phénomène de la mondialisation, il
est donc apparu aux responsables politiques des Etats d’Afrique francophone, qu’il était
nécessaire et possible d’arrêter cette dislocation de leurs systèmes juridiques et de leur
substituer une œuvre d’intégration juridique, conçue comme le levier indispensable de leur
intégration économique en cours et de leur développement.3 L’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), qui est une communauté
juridique créée par le Traité du 17 octobre 1993, dit « Traité de Port-Louis » a, donc, été
imaginée pour répondre à ce besoin de sécurité.

1
cf. Grégoire BAKAMDEJAWA MPUMGU, L’internationalisation des échanges et le droit OHADA, Ohadata
D-10-17.
2
cf. KOUASSI KOUAME Blaise, L’intégration juridique dans le cadre de l’Union Economique et Monétaire
Ouest Africaine (UEMOA), mémoire, Abidjan.
3
cf. ISSA-SAYEGH, L’intégration juridique des Etats africains de la zone franc, article dactylographié, n° 4 et 5,
p. 2 ; voir également, Penant 1997 n° _, p. 5 et suivantes et n° 824, p. 125 et suivantes.
Visant à renforcer l’attractivité des pays membres, à favoriser l’émergence d’une
communauté économique africaine et à soutenir le progrès économique et social, dans un
contexte où la globalisation des marchés appelle non seulement audace et dynamisme, mais
également, sécurisation des investissements et amélioration de leur environnement, le
processus d’harmonisation entrepris dans le cadre de l’OHADA, a abouti à « l’élaboration et
l’adoption de règles simples, modernes et adaptées à leurs économies, par la mise en œuvre de
procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à l’arbitrage pour le
règlement des différends contractuels ».

A ce jour, non seulement, neuf Actes uniformes constituent un corpus de plus de deux mille
(2.000) articles régissant directement le droit des affaires dans les Etats membres, mais,
depuis le 18 septembre 1995, date de son entrée en vigueur, le Traité relatif à l’harmonisation
du droit des affaires en Afrique, qui a créé l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA), regroupe (seize) 16 Etats-parties et suscite l’intérêt de
nouveaux adhérents, tout en faisant l’admiration des juristes des quatre coins du monde.

Ainsi, rappelant le rôle et les objectifs du Traité de Port-Louis, en l’abordant sous l’angle de
son caractère international, et en se faisant fort de quelques-uns de ses mérites énoncés par
certains autres auteurs,4 le Doyen BAKAMDEJAWA MPUMGU, dans son article précité,
relève, à son tour, que le droit OHADA s’inscrit dans le processus de mondialisation et que
celui-ci se traduit par :
- un affaiblissement de la souveraineté de l’Etat, par suite du renforcement des facilités
d’établissement, de circulation des personnes, des biens, des services et des facteurs
de production ;
- une concordance plus ou moins grande et nette des régimes juridiques applicables
aux activités économiques, quel que soit le lieu de leur accomplissement ;
- un ensemble de droits et d’obligations communs à tous les acteurs économiques, où
qu’ils exercent leurs activités (code de conduite des entreprises) ;
- une tendance très nette et constante à la dénationalisation du règlement des conflits
de nature économique (arbitrages et procédures non juridictionnelles).

Droit d’expansion, devenu international par l’élargissement de son périmètre, le droit


OHADA est d’application dans les seize (16) Etats, dont quatorze pays francophones et deux
pays d’expression hispanique et lusophone. Il le sera davantage avec l’adhésion de la
République Démocratique du Congo, dont on n’attend plus que la ratification des instruments
par le Parlement.

Pourtant, s’interrogeant sur les aspects techniques de l’intégration juridique mise en œuvre par
l’OHADA, le Professeur ISSA-SAYEGH n’a pas manqué de dénoncer les incertitudes et les
limites de l’élaboration et de l’application des normes produites.5

Il s’ensuit que, si l’extension ratione materiae et ratione loci de l’édifice OHADA, et même
son approche méthodologique concernant l’élaboration et l’adoption des Actes uniformes,
indiquent que cette Organisation présente des atouts indéniables (I), le constat est, parfois,

4
Voir en ce sens, Joseph ISSA-SAYEGH et Jacqueline LOHOUES-OBLE, Harmonisation du droit lies affaires,
Bruxelles, Bruylant, Coll. Droit uniforme africain, 2002.
5
cf. sur ce point, Joseph ISSA-SAYEGH, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des
actes uniformes de l’OHADA, Revue de droit uniforme, NS-vol. IV, 1999,1 UNIDROIT, n° 6 et suivant.
plus nuancé, car l’OHADA connaît également des faiblesses (II), c’est-à-dire des
insuffisances à corriger.

I.- LES ATOUTS DU DROIT UNIFIE


Considéré comme un outil technique destiné à servir la politique choisie par les autorités
compétentes pour leur intégration, l’attrait de l’OHADA réside, tout autant dans ses objectifs,
son cadre institutionnel, ses activités substantives, que dans sa méthodologie d’élaboration,
d’interprétation et d’application des textes. Néanmoins, pour faire simple, seulement trois
thèmes seront retenus pour mettre en exergue certains de ses mérites, ceux-ci contenant,
d’ailleurs, en germe, la plupart des limites qui lui sont opposées. Il s’agit de son cadre
institutionnel (A), de son champ matériel (B) et de son approche méthodologique (C).

A.- LE CADRE INSTITUTIONNEL DE L’OHADA


A l’instar de toute organisation internationale, l’OHADA dispose d’organes soit
intergouvernementaux, soit intégrés, chargés de mettre en œuvre les objectifs fixés par le
Traité de Port-Louis, qui l’a instituée. La réalisation des tâches prévues par celui-ci repose sur
une structuration qui allie habilement des institutions politiques et techniques (a) et une Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage (b).6

a) Les Institutions politiques et techniques


Aux organes préexistants de l’OHADA, composés du Conseil des Ministres et des Institutions
qui y étaient rattachées, le Traité de Québec du 17 octobre 2008, entré en vigueur le 21 mars
2010, a ajouté une Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.

1) La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement


La Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement est composée des chefs d’Etat et de
Gouvernement des Etats-parties. Elle est présidée par le Chef d’Etat ou de Gouvernement
dont le pays assure la présidence du Conseil des Ministres.

Concernant les réunions de la Conférence, elles se font, selon les besoins, sur convocation de
son président, soit à son initiative, soit à celle du tiers des Etats-parties. Elle statue sur toute
question relative au Traité ; les décisions étant prises valablement avec un quorum de deux
tiers des Etats membres, et par consensus ou, à défaut, à la majorité absolue des Etats
présents.

2) Le Conseil des Ministres


Malgré la création de la Conférence, le Conseil des Ministres demeure l’organe normatif de
l’Organisation. Composé des ministres chargés de la Justice et des Finances des Etats-parties,
il fonctionne sous la présidence annuelle de chaque Etat, et selon l’ordre alphabétique arrêté
par le Traité. Il se réunit, au moins une fois par an, sur invitation de son président, qui arrête
l’ordre du jour.

Le Président du Conseil des Ministres est assisté par le Secrétaire Permanent de l’OHADA.

Les Etats adhérents assurent pour la première fois la présidence du Conseil des Ministres dans
l’ordre de leur adhésion, après le tour des pays signataires du Traité. Si un Etat-partie ne peut

6
cf. Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA).
exercer la présidence du Conseil des Ministres pendant l’année où elle lui revient, le Conseil
désigne pour l’exercer, celui venant immédiatement après, dans l’ordre prévu. Toutefois,
l’Etat précédemment empêché, qui estime être en mesure d’assurer la présidence en saisit, en
temps utile, le Secrétaire Permanent, pour décision à prendre par le Conseil des Ministres.

Entre autres attributions, le Conseil des Ministres prend des règlements et des décisions pour
l’application du Traité, chaque fois que de besoin, adopte les Actes uniformes et approuve le
programme annuel d’harmonisation.

Il convient de rappeler qu’à l’exception de l’adoption des Actes uniformes, qui requiert
l’unanimité des représentants des Etats-parties présents et votants (article 8 du Traité), les
décisions du Conseil des Ministres sont prises à la majorité absolue des votants, chaque Etat-
partie disposant d’une voix (article 30 du Traité)

3) Le Secrétariat Permanent
Organe administratif de l’OHADA conçu, à l’origine, comme une structure légère, le
Secrétariat Permanent est devenu l’organe exécutif de l’Organisation. Il représente l’OHADA
et assiste le Conseil des Ministres. Dans cette mission d’assistance au Conseil des Ministres, il
est chargé de la préparation des projets d’Actes uniformes, et de la coordination et du suivi
permanent de l’activité d’harmonisation.

Le Secrétariat Permanent est dirigé par un Secrétaire Permanent nommé par le Conseil des
Ministres, pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. Sa nomination et ses
attributions, ainsi que son fonctionnement sont définis par un Règlement intérieur du Conseil
des Ministres.

Pour lui permettre de mener à bien ses missions, le Conseil des Ministres a décidé de doter le
Secrétariat Permanent de trois directions : la direction des affaires juridiques et des relations
avec les Institutions ; la direction de l’Administration générale, du Journal Officiel et des
Relations publiques et la direction des Finances et de la Comptabilité.

A ce personnel prévu par le Traité et ses Règlements d’application, il convient d’ajouter la


catégorie de personnel affecté aux services généraux.

4) L’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature


Il est apparu que l’insécurité judiciaire dénoncée par les opérateurs économiques découlait,
notamment, d’une dégradation de la façon dont était rendue la justice. Ce dysfonctionnement
a pour cause, en particulier, un manque de moyens matériels et une formation insuffisante des
magistrats et des auxiliaires de justice, tant en droit qu’en matière de déontologie.

Les rédacteurs du Traité ont donc estimé, à juste titre, que la création de la CCJA devrait être
accompagnée d’une action en direction des acteurs du monde judiciaire. C’est la raison pour
laquelle le Traité a institué en ses articles 3 et 41, une Ecole Régionale Supérieure de la
Magistrature (ERSUMA), dont le siège est à Porto-Novo (Bénin).

Le Traité révisé spécifie que l’ERSUMA est un établissement de formation, de


perfectionnement et de recherche en droit des affaires, qui est rattaché au Secrétariat
Permanent, et que le Conseil des Ministres a la possibilité de changer sa dénomination et son
orientation (art. 41 du Traité révisé).
Actuellement, l’ERSUMA est organisée conformément à son statut, qui a été adopté par le
Conseil des Ministres, le 03 octobre 1995, à Bamako. Le Règlement n° 002/98/CM portant
statut des fonctionnaires de l’OHADA détermine le cadre de gestion de ce personnel, tandis
que le Règlement n° 003/98/CM porte régime applicable au personnel non permanent de
l’établissement. Elle est dirigée par un directeur général, nommé par le Conseil des Ministres,
pour un mandat de quatre (4) ans renouvelable une fois, et qui est responsable du
fonctionnement des services.

Avec la restructuration issue du Traité de Québec, ces différents régimes ont cédé le pas à un
nouveau Règlement portant statut de l’ERSUMA révisé.

b) La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage


Le danger qui plane et fragilise les tentatives d’intégration juridique par la voie législative, est
l’absence d’une juridiction qui régule, oriente et unifie les applications et les interprétations.
C’est dire l’importance de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, sans laquelle il n’y
aurait pas d’intégration juridique véritable.

Elle a pour mission générale, d’une part, d’assurer dans les Etats-parties, l’interprétation et
l’application communes du Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes
uniformes. La révision de Québec y a ajouté les décisions.

Outre ce rôle juridictionnel, la CCJA a reçu un rôle consultatif concernant l’application et


l’interprétation du Traité et des Actes qui en dérivent. Ainsi, elle peut être consultée par tout
Etat-partie, le Conseil des Ministres et les Juridictions nationales.

D’autre part, la CCJA a également pour rôle, d’organiser l’arbitrage, sans toutefois être une
Cour d’arbitrage.

Sa mise en place découle de l’article 3 du Traité et elle est régie, dans son statut, ses
compétences et son fonctionnement, par ledit Traité (principalement, les articles 13 à 20 et 32
à 39), celui-ci étant complété par son Règlement de procédure de 59 articles, adopté par le
Conseil des Ministres, le 18 avril 1996, son Règlement d’arbitrage, adopté le 11 mars 1999,
ainsi que par d’autres textes de moindre importance.

Elle est composée de neuf (9) juges élus pour un mandat de sept ans, non renouvelable, parmi
les ressortissants des Etats-parties. Néanmoins, l’article 31 alinéa 2 du Traité révisé précise
que, le Conseil des Ministres peut, compte tenu des nécessités de service et des possibilités
financières, fixer un nombre de juges supérieur à ce chiffre.

Ces juges sont choisis parmi :


1) Les magistrats ayant acquis une expérience professionnelle d’au moins quinze années
et réunissant les conditions requises pour l’exercice dans leur pays respectif, de hautes
fonctions judiciaires ;
2) Les avocats inscrits au Barreau de l’un des Etats-parties, ayant au moins quinze
années d’expérience professionnelle ;
3) Les professeurs de droit ayant au moins quinze années d’expérience professionnelle.

Un tiers des membres de la Cour doit appartenir aux catégories visées aux points 2 et 3 ci-
dessus.
Par ailleurs, les membres de la Cour sont inamovibles et ne peuvent exercer des fonctions
politiques et administratives. Elle ne peut comprendre plus d’un ressortissant d’un même Etat.

Ces juges élisent en leur sein, pour une durée de trois ans et demi non renouvelable, un
président et deux vice-présidents. Le président dirige les travaux et contrôle les services de la
Cour, dont il préside les audiences. En cas d’empêchement, le président est remplacé par l’un
de ses vice-présidents.

Le président nomme le Greffier en chef de la Cour, après avis de celle-ci, parmi les greffiers
en chef ayant exercé leurs fonctions pendant au moins 15 ans et présentés par leurs Etats-
parties ; ainsi que le Secrétaire Général chargé d’assister l’Institution dans l’exercice de ses
attributions d’administration de l’arbitrage. Il pourvoit également aux autres emplois, sur
proposition du Greffier en Chef.

Il convient de rappeler qu’avant la révision du Traité de Port-Louis, la mise en place et le


fonctionnement des Institutions susvisées ont soulevé des difficultés dans la mesure où, dans
la réalité, les textes étaient contournés pour permettre l’application des Arrangements dits de
N’Djamena. La suppression de ces Arrangements par le Traité de Québec aurait dû permettre
de combler les insuffisances et incohérences constatées dans la mise en œuvre de celui de
Port-Louis, pour rendre l’Organisation plus propice à l’atteinte de ses objectifs.

B.- LE CHAMP MATERIEL DE L’OHADA


En fait, en instituant l’OHADA, le Traité de Port-Louis a donné corps à une vision nouvelle
de l’intégration communautaire par le droit : il s’agit pour les Etats-membres de cette
Organisation, de remédier aux non-conformités liées à la multitude des lois nationales
contradictoires, qui s’accommodait mal avec la prévisibilité attendue des décisions de justice.
Par cet instrument juridique, ils ont manifesté leur volonté de contribuer à l’instauration de cet
espace économique attendu, apte à répondre aux attentes des investisseurs, en élaborant et en
adoptant des Actes uniformes, c’est-à-dire des règles substantielles par lesquelles, il est
procédé à l’harmonisation du droit des affaires dans les Etats membres. Mais, quel est le
domaine couvert par le droit unifié (a), et quel est le contenu des Actes déjà adoptés (b) ?

a) Le domaine couvert par le droit unifié


Le domaine du droit unifié est défini par l’article 2 du Traité, au moyen d’une énumération
d’un ensemble de règles se rapportant « au droit des sociétés et au statut juridique des
commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime
du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit
du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports et toute autre matière que
le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure ... ».

La diversité des matières entrant dans le domaine du droit des affaires, ainsi défini,
constituait, indubitablement, un signe annonciateur de l’ampleur de leur contenu. En effet,
après 19 ans de mise en œuvre du Traité OHADA, il est permis de conclure à une relative
satisfaction : à ce jour, neuf (09) Actes uniformes ont déjà été adoptés, portant sur les
différentes matières susvisées, ainsi que sur le droit des coopératives, auxquels il convient
d’ajouter divers Règlements relatifs aux procédures devant la CCJA, à l’organisation de
l’ERSUMA ou au mécanisme de financement autonome de l’Organisation ...

Au plan de la pratique judicaire, l’application du droit OHADA est à l’origine d’une


abondante jurisprudence de la CCJA et des juridictions nationales, et il existe, par ailleurs,
une importante contribution de la doctrine, tant africaine que française, sur son évolution.
Mais, les avancées du droit uniforme de l’OHADA ne peuvent être appréciées qu’en faisant
un bref rappel du contenu des Actes uniformes déjà adoptés.

b) Le contenu des Actes uniformes adoptés


Adopté le 17 avril 1997, et faisant partie de l’un des trois (3) premiers textes entrés en vigueur
le 1er janvier 1998, l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, traite des sûretés, c’est-à-
dire les garanties juridiques accordées au créancier pour assurer l’exécution des engagements
de son débiteur. Cet Acte uniforme, qui vient de faire l’objet de révision au cours du Conseil
des Ministres de l’OHADA de décembre 2010, a abouti à une refonte de son contenu prenant
en compte, en matière de sûretés personnelles (cautionnement et garantie autonome), les
objectifs suivants :
- assouplir et simplifier les règles de constitution ;
- améliorer leur efficacité au niveau de leur exécution et instituer un régime incitatif
pour le prêteur.

S’agissant des sûretés réelles, elles poursuivent, quant à elles, des objectifs similaires de
simplification et de souplesse qui visent à :
- redéfinir les notions de gage et de nantissement, tout en simplifiant leurs conditions
de constitution ;
- étendre l’assiette des sûretés réelles mobilières (droit de rétention, propriété retenue
ou cédée à titre de garantie, gage de meubles corporels, nantissement de meubles
incorporels, privilèges) ;
- améliorer les sûretés réelles mobilières existantes ;
- faciliter, améliorer les mesures de publicité et enfin, simplifier les modalités de
réalisation des sûretés réelles.

Cette réforme des sûretés a également conduit à un assouplissement du régime actuel des
hypothèques en permettant, notamment, à l’hypothèque de garantir une créance future, en
l’admettant sur un immeuble futur et, enfin, en règlementant de façon plus précise le régime
de l’hypothèque des immeubles indivis.

Encore, une des innovations majeures apportées par le toilettage de cet Acte uniforme réside
dans la création de l’Agent des sûretés. Ce mécanisme vise à permettre notamment aux
banquiers, d’assurer le suivi et la gestion complète des sûretés, qui peuvent désormais leur
être confiées. En effet, l’article 5 dudit Acte dispose que : « toute sûreté ou autre garantie de
l’exécution d’une obligation peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée par une institution
financière ou un établissement de crédit, national ou étranger, agissant, en son nom et en
qualité d’agent des sûretés, au profit des créanciers de la ou des obligations garanties par
l’agent désigné à cette fin ».

L’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement des


créances et des voies d’exécution prévoit, lui, deux procédures simples à mettre en œuvre par
un créancier, afin de contraindre son débiteur à exécuter ses engagements. Ce sont la
procédure d’injonction de payer une somme d’argent et celle de l’injonction de délivrer.

Cet Acte renforce également les voies d’exécution destinées à contraindre un débiteur
défaillant à exécuter ses obligations, par le moyen de diverses saisies : saisie conservatoire,
saisie-vente, saisie-attribution des créances, saisie et cession des rémunérations, saisie-
appréhension et saisie-revendication des biens meubles corporels, saisie des droits et valeurs
mobiliers, saisie immobilière.

Quant à l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du


passif, il organise les procédures de règlement préventif, de redressement judiciaire et de
liquidation des biens, qu’il institue sous le contrôle du juge, et définit les sanctions
patrimoniales, professionnelles et pénales applicables au débiteur et aux dirigeants de
l’entreprise.

En ce qui concerne l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage, qui est venu combler l’absence d’une
réglementation en cette matière dans beaucoup de pays du champ OHADA, il expose les
principes du droit de l’arbitrage et ses différentes phases, et indique les voies de recours
ouvertes contre la sentence. L’arbitrage organisé par l’Acte uniforme cohabite avec celui
administré par la CCJA, en tant que centre d’arbitrage.

Si l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises


soulève le problème des compatibilités à trouver avec le SYSCOA, il établit, tout de même,
les normes comptables, le plan des comptes, les règles de tenue de ceux-ci, ainsi que les règles
de présentation des états financiers de synthèse, l’information financière, etc. En outre, il a le
mérite de circonscrire les débiteurs de l’obligation de tenue des documents comptables, en
visant, dans son article 2, toute entité produisant des biens et des services marchands ou non,
dans la mesure où elle exerce dans un but lucratif ou non, des activités économiques à titre
principal ou accessoire, qui se fondent sur les actes répétitifs, à l’exception de celles soumises
aux règles de la comptabilité publique. Tout en excluant, pour l’instant, de son champ
d’application, les banques, les établissements financiers, les compagnies d’assurance et les
entreprises soumises aux règles de la comptabilité publique, son domaine s’étend aux
entreprises relevant des dispositions du droit commercial, aux entreprises publiques,
parapubliques et d’économie mixte, ainsi qu’aux coopératives.

Par ailleurs, les Actes uniformes déjà adoptés couvrent le droit commercial général, les
contrats de transport de marchandises par route, ainsi que le droit des sociétés commerciales ;
sans oublier le droit des sociétés coopératives, nouvellement adopté.

Pour ce qui est de l’Acte uniforme sur le droit commercial, amendé lors de la révision de
Lomé du 15 décembre 2010, ses grandes innovations portent essentiellement sur
l’amélioration du statut du commerçant (personne physique ou morale), du registre du
commerce et du crédit mobilier, et sur la rénovation des activités de commerce comprenant à
la fois, la vente entre professionnels, les baux commerciaux et le fonds de commerce. Mais,
avec ce toilettage récemment intervenu, il vient d’intégrer d’autres innovations importantes
comportant, entre autres, l’adjonction d’un statut d’entreprenant à celui du commerçant, et le
remplacement de la notion de bail commercial par celle de bail à usage professionnel. En
imaginant ce statut de l’entreprenant, le législateur OHADA a voulu attirer vers les catégories
normalisées, les débutants et les opérateurs du secteur informel, leur permettant ainsi de
bénéficier des protections légales et de facilités diverses.

Concernant les principales innovations de l’Acte uniforme relatif aux contrats de transports de
marchandises par route, par rapport aux différents textes dans les Etats, régissant cette matière
(articles 1782 et suivants du Code civil, le Code de commerce rendu applicable dans les
territoires de l’AOF, et la Convention du 29 mai 1982 relative au Transit Routier inter-Etats
liant les pays membres de la CEDEAO ...), elles résident dans le fait que de nouvelles
obligations ont été prescrites. Les unes sont mises à la charge du transporteur (notamment en
matière d’emballage des marchandises (article 7, alinéas 2 et 3), les autres pesant sur
l’expéditeur (article 8). En outre, le texte formule les différents concepts et énumère, en détail,
les mentions que doit contenir la lettre de voiture ...

Constituant le droit positif de l’ensemble des Etats membres de l’OHADA, l’Acte uniforme
relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique contient,
quant à lui, trois parties essentielles :
- des dispositions générales sur la société commerciale : constitution, fonctionnement,
responsabilités, liens de droit entre sociétés, transformation, fusion et liquidation,
formalités et publicités ;
- des dispositions particulières aux sociétés commerciales (en nom collectif, en
commandite simple, à responsabilité limitée, anonyme, en participation) et propres
au groupement d’intérêt économique ;
- des dispositions pénales.

En généralisant, par ailleurs, le groupement d’intérêt économique, il permet aux opérateurs


économiques de se mettre ensemble pour réaliser un objet économique qui ne soit pas
nécessairement leur propre profit. De surcroît, il favorise la protection des investisseurs
étrangers, par la réglementation des liens de droit entre les sociétés, singulièrement les
participations et les filiales.

Quant à ses dispositions les plus significatives, ce sont celles organisant les sociétés
unipersonnelles (SARL et SA) prévues aux articles 309 et 389 de l’Acte uniforme, ainsi que
les sociétés à portefeuille (société holding), qui sont désormais possibles.

Enfin, l’Acte uniforme relatif aux sociétés coopératives, également adopté par le Conseil des
Ministres de l’OHADA, en sa session de Lomé de décembre 2010, constitue le dernier-né de
l’œuvre d’harmonisation du droit des affaires. Il répond à une demande fortement exprimée
par les coopérateurs de l’espace OHADA qui, n’étant pas soumis aux règles des sociétés
commerciales, ont manifesté leur désir de voir des règles harmonisées prises dans leur
domaine. Après un chapitre préliminaire consacré à son champ d’application, il comporte
quatre parties qui traitent des dispositions générales sur la société coopérative, des
dispositions particulières aux différentes catégories de sociétés coopératives, des dispositions
pénales et des dispositions diverses, transitoires et finales. Ainsi, dans la première partie, à la
suite d’une définition de la coopérative, qui est la stricte reprise de celle qui est
universellement donnée par l’Alliance coopérative internationale, l’Acte uniforme aborde
successivement, dans ses dispositions générales, les règles relatives à la constitution de la
société coopérative, à son fonctionnement, à la responsabilité civile des dirigeants sociaux,
aux organisations faîtières des sociétés coopératives (unions, fédérations, confédérations et
réseaux), à la transformation, dissolution, liquidation et nullité de celle-ci.

Dans la deuxième partie de l’Acte uniforme, il est fait un effort de catégorisation des sociétés
coopératives, pour tenir compte des limites objectives des populations concernées, à supporter
efficacement les exigences légales du fonctionnement des sociétés en général. En distinguant
entre la coopérative simplifiée et la coopérative avec conseil d’administration, l’Acte
uniforme a eu le souci de tenir compte des capacités contributives et d’assimilation des
acteurs du secteur de la coopérative qui, généralement, sont dans les milieux à faible niveau
d’instruction et de revenu, dans la plupart des Etats membres de l’OHADA. C’est du reste, la
consécration de plusieurs lois nationales actuellement en vigueur ; les exigences légales étant
modulées en fonction de la catégorie concernée.

Cette deuxième partie traite aussi, du cas spécifique de la coopérative d’épargne et de crédit,
pour tenir compte de la nécessité d’harmoniser le texte de l’OHADA avec ceux des Banques
centrales, relatifs aux activités de ces types de coopératives, activités qui tombent sous la
surveillance desdites banques centrales, en tant que « gendarmes financiers » des sous-régions
concernées par l’OHADA. Il a été également pris en compte, l’introduction de certaines
pratiques de garanties dans les milieux concernés, et le souci d’allègement des charges et
formalités liées à ces pratiques.

Alors que la troisième partie du texte renvoie aux dispositions pénales pertinentes de l’Acte
uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, sa quatrième partie, réservée
aux dispositions diverses, transitoires et finales, donne, entre autres, un délai de réadaptation
de deux ans aux coopératives préexistantes, et indique les modalités pratiques d’y procéder.
Mais au-delà du champ matériel convient d’entrevoir la technique harmoniser les règles.

C.- L’APPROCHE METHODOLOGIQUE


Si la problématique de l’intégration juridique africaine a conduit certains auteurs à
s’interroger sur l’équation de la méthode,7 il est clair que la technique juridique utilisée par les
rédacteurs du Traité de l’OHADA pour harmoniser les différentes règles de droit de leurs
Etats signataires explique en partie le succès de cette œuvre commune. En effet, en
privilégiant la technique de l’unification à celle de l’harmonisation des législations, ils ont
entendu consacrer le mécanisme de la substitution comme technique d’unification du droit
communautaire, justifiant, ainsi, le recours en cassation exercé devant la CCJA.

a) La technique de l’unification des normes juridiques


Selon le professeur ISSA-SAYEGH, ceux qui entreprennent l’intégration juridique de
plusieurs Etats hésitent constamment entre l’harmonisation et l’uniformisation du droit.8

Alors que « l’harmonisation ou coordination, au sens strict du terme, est l’opération consistant
à rapprocher des systèmes juridiques d’origine et d’inspiration différentes (voire divergentes)
pour les mettre en cohérence entre eux en réduisant ou en supprimant leurs différences et leurs
contradictions de façon à atteindre des résultats compatibles entre eux et avec les objectifs
communautaires recherchés », « l’uniformisation ou l’unification du droit est, a priori, une
forme plus brutale mais aussi plus radicale d’intégration juridique. Elle consiste à instaurer,
dans une matière juridique donnée, une réglementation unique, identique en tous points pour
tous les Etats membres, dans laquelle il n’y a plus de place, en principe, pour des
différences ».9

La mise en œuvre de la technique d’uniformisation est conditionnée par le principe de la


supranationalité, qui consiste en l’existence d’un système institutionnel autonome permettant
de privilégier le bien commun par rapport aux intérêts nationaux, et d’édicter des normes qui,
non seulement s’imposent aux Etats, mais régissent directement la situation juridique des

7
cf. en ce sens, Ibrahim Khalil Diallo, OHADATA.
8
Joseph ISSA-SAYEGH, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique : l’exemple des actes uniformes
de l’OHADA, Revue de Droit uniforme, NS – Vol IV, 1999-1 n° 1, p. 5.
9
Joseph ISSA-SAYEGH, l’intégration juridique des Etats africains de la zone franc, Penant 1997, n° 82,3 n° 9,
p. 4.
particuliers.10 Cette mise en œuvre se manifeste, sur le plan communautaire, à travers la
procédure d’élaboration et d’adoption des Actes uniformes, et au niveau interne, par les
procédés d’insertion du droit communautaire dans le droit national.

1) La procédure d’élaboration et d’adoption des Actes uniformes


Ce sont les articles 6, 7 et 8 du Traité de l’OHADA qui déterminent la procédure
d’élaboration et d’adoption des Actes uniformes. Selon l’article 6, les Actes uniformes sont
préparés par le Secrétariat Permanent, en concertation avec les Gouvernements des Etats-
parties. Ils sont délibérés et adoptés par le Conseil des Ministres, après avis de la CCJA. Le
droit unifié requiert donc, une phase de préparation du projet d’Acte uniforme et une phase
d’adoption dudit projet, ces deux étapes étant guidées par l’idée de consensus.

La préparation du projet d’Acte uniforme nécessite l’intervention du Secrétariat Permanent,


des Commissions Nationales OHADA et de la CCJA. Ainsi, selon l’article 6, le Secrétariat
Permanent assiste le Conseil des Ministres.

A ce titre, en plus de l’ordre du jour du Conseil et du programme annuel d’harmonisation du


droit des affaires qu’il élabore, il prépare les projets d’Actes uniformes et les soumet à
l’examen des Etats membres et à l’avis de la CCJA. Puis, il met au point le texte définitif et
l’inscrit à l’ordre du jour du Conseil.

Avant d’être inscrit à l’ordre du jour du Conseil des Ministres, le projet d’Acte uniforme est
communiqué au Gouvernement de chaque Etat-partie, qui dispose d’un délai de quatre vingt-
dix jours à compter de la date de réception de cette communication, pour faire ses
observations écrites. Malheureusement, ni le Traité ni aucune loi nationale n’organise cette
phase d’examen du texte. C’est la raison pour laquelle, pour les premiers Actes uniformes,
l’intervention des Gouvernements des Etats-parties s’est faite par l’intermédiaire des
Commissions Nationales ad hoc mises en place dans chaque pays, et dont le rôle était
d’examiner les projets d’Actes et de présenter au directoire (et ensuite au Secrétariat
Permanent), leurs observations, critiques ou suggestions, Afin de permettre à ces
Commissions de faire des observations prenant suffisamment en compte l’état de leur droit
positif et l’intérêt général poursuivi par le droit communautaire, une méthode commune de
travail avait été proposée par le Directoire et adoptée par tous, au cours d’un séminaire tenu à
Ouagadougou, les 14 et 15 mars 1994 et regroupant les présidents desdites Commissions.
Celles-ci étaient appelées à disparaître une fois les premiers Actes uniformes adoptés ; mais,
elles continuent d’exister, souvent de fait, sans aucune base réglementaire. Cette absence de
cadre formel a conduit le Secrétariat Permanent à soumettre à l’adoption du Conseil des
Ministres, un texte d’orientation relatif à la création, aux attributions, à l’organisation et au
fonctionnement des Commissions nationales, à conformer et à intégrer à l’arsenal juridique de
chaque Etat membre.

A l’expiration du délai de 90 jours prévu par le Traité, le projet d’Acte uniforme, accompagné
des observations des Etats-parties, et donc des Commissions nationales, et d’un rapport du
Secrétariat Permanent, est immédiatement transmis pour avis à la Cour Commune de Justice
et d’Arbitrage (CCJA).

10
cf. Filiga Michel SAWADOGO et Luc Marius IBRIGA, Communication présentée lors du séminaire régional de
sensibilisation sur la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques au sein de l’UEMOA, de la
CEDEAO et de l’OHADA, Ouagadougou, 6 au 10 octobre 2003, note 33, p. 10.
Quant à l’adoption, proprement dite, d’un Acte uniforme, elle est de la compétence exclusive
du Conseil des Ministres, puisque selon l’article 6 du Traité, les projets de textes uniformes
sont délibérés et adoptés par cet organe, après l’avis de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage.

Cette adoption des Actes uniformes par le Conseil des Ministres requiert l’unanimité des
représentants des Etats-parties présents et votants (article 8, a1inéa 1er). La délibération ne
peut intervenir que si les deux tiers au moins des Etats-parties sont représentés (article 8,
alinéa 2) et l’abstention ne fait pas obstacle à l’adoption des Actes uniformes (article 8
in fine). Ceux-ci sont publiés au Journal Officiel de l’OHADA, par le Secrétariat Permanent,
dans les soixante jours qui suivent leur adoption. Ils sont applicables quatre vingt-dix jours
après cette publication, sauf modalités particulières d’entrée en vigueur prévues par l’Acte
uniforme lui-même. Ils sont également publiés au J.O. des Etats-parties ou par tout autre
moyen approprié. Enfin, selon les dispositions de l’article 10 du Traité, les Actes uniformes
sont directement applicables et obligatoires dans les Etats-parties, nonobstant toute disposition
de droit interne, antérieure ou postérieure ; ce qui est la manifestation incontestable de la
supranationalité.

2) Les procédés d’insertion du droit communautaire dans le droit national


La supranationalité ou la primauté du droit communautaire, qui signifie que celui-ci prévaut
sur le droit national antérieur ou postérieur, et qui a pour corollaire le principe de
l’immédiateté ou de l’applicabilité directe, permet de distinguer par quel moyen les normes
internationales s’insèrent dans les ordres juridiques internes. C’est non seulement cette
insertion des normes communautaires dans le droit national, qui consacre l’abrogation ou
l’éviction des dispositions contraires du droit interne par le droit communautaire, mais c’est
également cette règle qui appelle à la mise en conformité du droit interne avec ce dernier.

Par mise en conformité du droit interne avec le droit communautaire, il faut comprendre tout
le processus de soutien à l’application des Actes uniformes, cette préoccupation trouvant son
siège dans l’article 10 du Traité, qui consacre la force juridique et la portée desdits Actes.

Le premier aspect de la mise en conformité a trait à l’inventaire des textes ci-dessus rappelé.
Ce travail d’inventaire, qui n’est pas une sinécure, a été fait par la Côte d’Ivoire, sous la
supervision du Président de la Commission OHADA, dans le cadre d’une étude dirigée par le
Professeur Joseph ISSA-SAYEGH, qui en assurait la direction scientifique. C’est
pratiquement cette même démarche que poursuit le projet d’amendements des Actes
uniformes, en cours.

Néanmoins, relativement à ce travail d’inventaire, la CCJA a elle-même estimé, sur le plan


juridique, qu’il n’est pas nécessaire que chaque législateur national intervienne pour abroger
l’ensemble des dispositions de son droit national, qui seraient contraires ou identiques à celles
du droit communautaire. A cet égard, la CCJA relève d’ailleurs, que : « Au regard des
dispositions impératives et suffisantes des articles 9-10 du Traité OHADA, sont
superfétatoires les textes d’abrogation expresse du droit interne que pourraient prendre les
Etats-parties en application des Actes uniformes ».11

Le deuxième aspect intéressant à relever concernant la mise en conformité a trait à


l’appropriation des Actes uniformes par les Etats membres. En effet, les Actes uniformes
contiennent un certain nombre de dispositions qui, pour recevoir une réponse aboutissant à

11
cf. Avis du 30 avril 2001.
leur application cohérente, doivent être impérativement complétées par des mesures de droit
interne. Il en est ainsi de la mise en fonctionnement du registre de commerce selon le modèle
OHADA, des sanctions pénales à prendre, et enfin, des dispositions renvoyant explicitement
ou implicitement à des dispositions du droit national. Se limitant à cette dernière contrainte
imposée aux Etats-parties, il convient de rappeler que, dans le souci de préserver la spécificité
des droits nationaux dans la terminologie utilisée pour la désignation des juridictions
compétentes, des décisions judiciaires, ou des auxiliaires de justice, le législateur OHADA a
eu recours à des termes juridiques génériques ou à des périphrases (juridictions compétentes,
juridictions statuant en matière d’urgence ...) pour les désigner. Il appartient donc aux Etats-
parties de les décrypter et de les remplacer par des termes appropriés de leurs droits
nationaux. Ces travaux de transcription ont été entrepris par maintes commissions nationales
OHADA, ainsi que par celle de Côte d’Ivoire, lors des travaux de mise conformité du droit
ivoirien des affaires avec celui de l’OHADA.

b) L’adéquation de la technique de l’uniformisation au mécanisme de substitution de


la CCJA aux juridictions nationales
Alors que l’article 13 du Traité OHADA dispose que « le Contentieux relatif à l’application
des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats-
parties », son article 14 prévoit, quant à lui, que « la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage
assure, dans les Etats-parties, l’interprétation et l’application communes du présent Traité, des
règlements ainsi que des décisions prises pour son application ». S’il résulte de ces deux
dispositions que, l’application du droit commun édicté par l’OHADA incombe, en premier
lieu, aux juridictions nationales des Etats membres, qui agissent « en première ligne », au plan
strictement judiciaire, la CCJA joue le rôle d’une cour de cassation. A cette fin, elle peut être
saisie par la voie du recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions
d’appel et, d’une manière générale, contre les décisions non susceptibles d’appel, à condition
que dans les deux cas, ces décisions soulèvent des questions relatives à l’application des Actes
uniformes et des Règlements prévus au Traité de l’OHADA, et des décisions prises, chaque
fois que de besoin, par le Conseil des Ministres, étant bien entendu, exclues les décisions
appliquant des sanctions pénales.

Ces pourvois en cassation sont portés devant la CCJA, soit directement par l’une des parties à
l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant
des questions relatives à l’application des Actes uniformes (hypothèse de l’article 15 du
Traité).

Encore, aux termes de l’article 18 du Traité, « toute partie, qui après avoir soulevé
l’incompétence d’une juridiction nationale statuant en cassation estime que cette juridiction a,
dans un litige la concernant, méconnu la compétence de la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage, peut saisir cette dernière dans un délai de deux mois à compter de la notification
de la décision contestée ... ». En cas de cassation, la CCJA évoque et statue sur le fond
(article 14, alinéa 5 du Traité).

Il apparaît que, les dispositions du Traité OHADA posent ainsi, un principe de


supranationalité judiciaire, en opérant un transfert de compétence des juridictions nationales
de cassation vers la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Ce principe est d’autant plus
vigoureux qu’il est accompagné de ce pouvoir de la CCJA de statuer, après cassation, sur le
fond, sans renvoyer à une juridiction d’appel national de l’Etat concerné, en évoquant
l’affaire. Non seulement ce pouvoir d’évocation entraîne la substitution de la CCJA aux
juridictions nationales de dernier ressort, en cas de cassation, mais cette substitution s’étend à
la juridiction nationale de cassation de chaque Etat-partie, réalisant, ainsi, le transfert de
souveraineté judiciaire.

Relativement à la portée de ce mécanisme de substitution, une première observation fait


apparaître les conflits susceptibles de naître entre la CCJA et les juridictions de cassation
nationales. Mais, à cette étape de la réflexion, n’abordons-nous pas là, déjà, les faiblesses de
l’OHADA ?

II.- LES FAIBLESSES DU DROIT UNIFIE


L’objectif du Traité OHADA, résultant de son article 1er visant à doter les Etats-parties d’un
droit des affaires simple, moderne et adapté à leurs économies, aucune incertitude ne devrait,
a priori, peser sur la détermination du droit substantiel à uniformiser, le domaine de
l’unification étant expressément défini par le Traité. Pourtant, le principe posé par le Traité
lui-même n’apparaît pas aussi nettement qu’on le souhaiterait, si bien qu’on peut hésiter sur
son contenu et ses contours ; en outre, les limites imposées à l’œuvre d’unification de
l’OHADA sur le terrain même qu’il s’est choisi, sont nombreuses.12 Ces limites procèdent,
tant de son domaine matériel que de l’étendue de son champ d’application géographique,
puisqu’elles chevauchent d’autres espaces économiques et, au plan juridictionnel, disposent
d’une juridiction propre. En fait, à ce stade, il s’agit de mesurer l’ordre juridique de
l’OHADA aux ordres juridiques, tant nationaux, qu’internationaux, en vue d’y déceler ces
incertitudes qui nuisent à son efficacité. Celles-ci étant nombreuses, seuls trois aspects de
cette confrontation seront évoqués pour servir d’illustrations dans le cadre de trois thèmes :
l’existence d’organisations internationales concurrentes (A), la subordination de l’application
des Actes uniformes à des dispositions du droit national (B), l’insuffisance du droit OHADA
par les utilisateurs de son espace (C).

A.- L’EXISTENCE D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES CONCURRENTES


On le sait, il existe dans les Etats africains, une multitude de conventions internationales
visant à instaurer une intégration économique ou juridique. C’est ainsi qu’au niveau de la
sous-région ouest-africaine, par exemple, existent, à côté de l’OHADA, non seulement des
organisations de droit communautaire, telles la CEDEAO et l’UEMOA, mais également des
institutions d’intégration sectorielle qui poursuivent, à leur tour, une œuvre d’unification dans
les domaines de leurs compétences et agissent dans des secteurs économiques et juridiques
biens définis. Il en est ainsi de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance
(CIMA), de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) ou de la
Conférence Interafricaine de Prévoyance Sociale (CIPRES).

Somme toute, la particularité de l’espace juridique de l’OHADA est qu’elle regroupe en son
sein, plusieurs autres organisations d’intégration qui poursuivent la même finalité, à savoir la
création d’un cadre harmonisé répondant au souci d’une véritable intégration économique. Il
va sans dire que, si la coexistence de ces organisations régionales et sous-régionales
poursuivant les mêmes objectifs traduit, peut-être, la vitalité de l’intégration, elle constitue
toutefois, la manifestation des forces centrifuges qui brouillent, quelque peu, les voies de cette
intégration économique et juridique, avec la complexité, voire la contrariété des normes

12
ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 6, p. 8.
applicables et des compétences juridictionnelles.13 En effet, une telle situation expose
l’OHADA à des risques de concurrence, donc de conflits de normes et/ou de juridictions.

a) Les conflits de normes


Procédant de ce qu’en dépit de la pluralité des organisations d’intégration, celles-ci
poursuivent des objectifs et des domaines d’actions similaires, les conflits de normes naissent
dès lors que deux dispositions ayant le même objet sont contraires ou incompatibles.14 Aussi,
subsistent-ils dans les matières dans lesquelles, deux organisations, par exemple, ont eu à
légiférer ou envisagent de le faire compte tenu de leur compétence et, de ce fait, les conflits de
normes peuvent être réels ou virtuels.

Les conflits de normes virtuels se caractérisent par la présence, dans un même domaine, de
différentes règles ayant en commun, la volonté de régir différemment la même situation, sans
porter véritablement atteinte à l’application de l’une d’entre elles. Ainsi, bien que le droit des
assurances soit de la compétence de la CIMA, rien n’empêche l’OHADA de légiférer dans ce
domaine, qui relève, indubitablement, du droit des affaires, notamment dans les branches qui
n’ont pas encore été abordées par la CIMA.

Une autre illustration de conflits virtuels est fournie par l’OAPI, dont les matières traitées par
les annexes font également partie du droit des affaires.

Quant aux conflits de normes réels, ils se présentent surtout, dans les rapports entre
1’OHADA et l’UEMOA, où le nombre de recoupements est plus grand. Quelques illustrations
tirées du droit comptable, du droit bancaire et financier, ainsi que de la législation des
activités sur le marché financier régional, permettent d’en mesurer la portée.

En matière de droit comptable, le Traité UEMOA dispose, en son article 67 alinéa 1er que,
« l’Union harmonise les législations et les procédures budgétaires, afin d’assurer, notamment,
la synchronisation de ces dernières avec la procédure de surveillance multilatérale. Ce faisant,
elle assure l’harmonisation des lois de finances et des comptabilités publiques, en particulier
des comptabilités générales et des plans comptables publics ... ». En application de ces
dispositions, l’Union a, par le Règlement n° 04/96/CM du 20 décembre 1996, adopté un
référentiel commun au sein de l’UEMOA, dénommé Système Comptable Ouest Africain
(SYSCOA). Or, l’OHADA, dans ce même domaine, a adopté l’Acte uniforme du 24 mars
2000 portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises. Il est vrai que
l’UEMOA a, par la suite, modifié le Règlement n° 04/96/CM/UEMOA du 20 décembre 1996,
en prenant le Règlement n° 07/2001/CM/UEMOA du 20 septembre 2001, afin d’assurer sa
compatibilité avec l’Acte uniforme de l’OHADA.

Mais, les risques de conflits de normes n’ont pour autant pas complètement disparu, un
dernier Règlement ayant été pris par l’UEMOA en la matière.

Dans le domaine du droit bancaire et financier, les Etats membres de l’UEMOA ont
également entrepris, avec le concours de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
(BCEAO), des réformes profondes visant à créer les conditions de développement d’un
système financier plus solide et plus compétitif, capable d’offrir une large gamme de services
financiers à toutes les couches de la population. Dans le cadre de ces réformes, une révision

13
cf. Céline Marie-Josée de DARVO-ZINZINDOHOUE, la mise en place d’un droit uniforme du travail dans le
cadre de l’OHADA, Diffusion ANRT, thèse à la carte, p. 320.
14
Avis CCJA n° 1/01/EP du 30 avril 2001.
des législations existantes a abouti à la mise en place de textes spécifiques que sont : la loi
portant réglementation bancaire, la convention régissant la Commission bancaire de
l’UEMOA, la loi portant réglementation des systèmes financiers décentralisés et le règlement
relatif au système de paiement.

La lecture combinée de certaines dispositions de ces textes avec celles de certains Actes
uniformes laisse apparaître des conflits de normes dans les domaines ci-après : les conditions
d’exercice par les établissements de crédit, des opérations de cautions, d’avals et de garanties,
la protection des créanciers, les procédures de redressement judiciaire et de liquidation des
établissements de crédit ; l’application de la règle du « zéro heure » en matière de règlement
et de compensation des opérations interbancaires et des transactions sur titres.

Ainsi, concernant les conditions d’exercice des opérations de cautions, d’avals et de garanties
par les établissements de crédit, sur la base de l’article 449 de l’Acte uniforme relatif au droit
des sociétés commerciales et du GIE, la CCJA, dans un Avis en date du 26 avril 2000, a
estimé que l’autorisation préalable du Conseil d’administration prévue par le droit commun de
l’OHADA était requise dans le cas des banques et des établissements financiers, imposant à
ces derniers de s’y soumettre pour toute opération de cautions, d’avals ou de garanties. Or,
d’un point de vue opérationnel, cette règle est une source de blocage pour l’exécution desdites
opérations, qui sont par nature courantes pour le métier d’intermédiation financière.

Le deuxième exemple peut être tiré de la règle du « zéro heure » : cette règle implique que le
jugement qui prononce le règlement judiciaire ou la liquidation des biens, produit ses effets à
partir de sa date, y compris à l’égard des tiers et avant toute publicité. Elle a pour effet,
d’invalider toutes les transactions effectuées par l’entrepreneur en faillite, dès le début (zéro
heure) du jour de mise en règlement judiciaire ou de .liquidation des biens. Sur ce point, alors
que les articles 52 et 53 de l’Acte uniforme portant procédures collectives d’apurement du
passif consacrent la « règle du zéro heure », les articles 6 et 7 du Règlement
n° 15/2002/CM/UEMOA du 19 septembre 2002, y dérogent en retenant que les paiements
régulièrement effectués ne peuvent être remis en cause rétroactivement. Bien plus, ceux qui
sont effectués dans la journée du prononcé du jugement sont valables.

Enfin, la législation sur le marché financier régional offre un cas supplémentaire des
chevauchements de compétence au niveau des organisations d’intégration. En effet, le droit
des marchés financiers fait l’objet d’une réglementation spécifique à travers le Règlement
général relatif à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle du marché financier régional
de l’UMOA, adopté par le Conseil des Ministres, le 28 novembre 1997. Ce Règlement octroie
l’exclusivité de la définition de la législation, en la matière, au Conseil Régional de l’Epargne
Publique et des Marchés Financiers (CREPMF). Or, la même concurrence normative
s’observe avec l’OHADA, dont l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et
du GIE comporte plusieurs articles (81 à 96, 823 à 853 et 905) qui ont trait à l’appel public à
l’épargne, aux conditions d’émission des titres, aux règles gouvernant la diffusion
d’informations sur le marché. Outre le principe de coexistence de normes de l’OHADA aux
côtés de celles édictées par le Conseil Régional, il est relevé des différences significatives
entre les concepts et les notions fondamentaux relatifs aux titres et aux valeurs mobilières. Il
va sans dire qu’une telle situation pose le problème de choix de notions à privilégier par les
praticiens et les juges.
C’est d’ailleurs ce qui a fait dire au professeur ISSA-SAYEGH que, la concurrence des
compétences entres les organisations internationales laisse présager un avenir de désordre15.
C’est cette même raison qui conduit les hauts responsables des institutions de droit
communautaire à s’opposer à l’extension du domaine de l’article 2 du Traité, préconisé par le
Conseil des Ministres de l’OHADA de Bangui des 22 et 23 mai 2001, dénonçant, ainsi, le
risque de propension de cette Organisation qui, au lieu de se contenter du droit commun des
affaires, leur dispute le terrain des normes spécifiques.16

S’il est indéniable que, la première source des conflits procède du champ matériel très large
dans lequel évoluent d’autres organisations d’intégration, la seconde source provient du fait
que, le contrôle de l’application et de l’interprétation des normes communautaires régissant le
droit des affaires relève, malheureusement ou non, de juridictions suprêmes présentant leur
propre autonomie.

b) Les conflits de juridictions


Sans nul doute, l’application du droit communautaire pose aussi le problème de son
interprétation, car celle-ci est indissociable de celle-là. Essentiellement, tant en droit interne
qu’en droit international, l’interprétation consiste, pour les juridictions, dont c’est la fonction,
à définir ou déterminer le sens et la portée des règles en vigueur. Comme on le sait,
l’application et l’interprétation des Actes uniformes de l’OHADA reviennent aux juridictions
nationales de fond en premier et dernier ressort, mais à la CCJA en matière de cassation, afin
de garantir l’uniformisation des solutions jurisprudentielles (articles 14 et 15 du Traité). Les
juridictions nationales ayant donc, à appliquer des règles du droit communautaire dans un
certain nombre de litiges dont elles sont saisies, le risque est grand de voir apparaître des
divergences d’interprétation, celles-ci pouvant résulter tant des rapports entre la CCJA et les
juridictions nationales de cassation, que des conflits entre juridictions supranationales.

A propos des conflits de compétence entre juridictions de cassation nationales et juridictions


communautaires, le professeur ISSA-SAYEGH17 rappelle que, la résistance à l’attraction des
pourvois en cassation par la CCJA peut se manifester de deux manières principalement : une
manière passive et une manière active. « En premier lieu, les parties peuvent, implicitement
ou explicitement, se mettre d’accord pour porter le recours en cassation devant la Cour de
cassation ou la Cour suprême nationale sans que celle-ci se déclare incompétente et renvoie
l’affaire devant la CCJA comme le lui enjoint l’article 15 du Traité. On voit mal comment, en
pareille hypothèse, la CCJA pourrait être saisie ou se saisir.

En second lieu, il est possible que le litige porte, à la fois, sur des questions de droit uniforme
et de droit interne. Dans cette hypothèse, il serait logique de rendre à la CCJA ce qui lui
appartient et à la Cour de cassation nationale, ce qui lui revient, encore qu’il n’est pas toujours
possible de fractionner le procès en deux parties nettement distinctes, notamment lorsque la
solution de certaines questions de droit interne dépend de celle du droit uniforme ou
inversement. Par quelle juridiction commencer ? L’auteur conclut que, « c’est certainement
par celle qui est déterminante pour la solution des points de droit principaux », et que c’est à

15
J. ISSA-SAYEGH, op. cit., n° 19, p. 12.
16
cf. Réunions des experts de l’UEMOA des ministères chargés des Finances et de la Justice relatives à
l’autonomie et à la spécificité du droit applicable aux domaines régis par les normes spécifiques par rapport au
droit commun de l’OHADA, Dakar, 15 et 16 mars et 11 mai 2010.
17
cf. Conflits entre droit communautaire et droit régional dans l’espace OHADA, Ohadata D-06-05.
un tel dilemme qu’a été confrontée la Cour Suprême du Niger, dans l’affaire SNAR LEYMA
et Groupe HIMA SOULEY OUMAROU.18

Dans cette affaire, la Cour Suprême du Niger, qui a été la première juridiction nationale de
cassation à affronter une telle hypothèse de compétences concurrentes, a préconisé de
reconnaître la compétence de la juridiction nationale de cassation, lorsque le pourvoi est fondé
à titre principal sur des moyens tirés du droit national, et la compétence de la CCJA, lorsque
le pourvoi est fondé à titre principal sur le droit OHADA. Si cette solution assez
recommandable de la Cour Suprême du Niger, semble passer pour une interpellation à ce
qu’une place plus ou moins importante soit laissée aux juridictions de cassation nationales en
tant qu’elles constituent des éléments importants de l’Etat de droit, elle pose en filigrane, la
question du traitement des conflits des normes et de juridictions.19

Quant aux solutions à trouver à la résolution de ces conflits, qu’ils soient de normes ou de
juridictions, elles sont recherchées au niveau politique et juridique, à travers des concertations
entre Etats-parties et organisations d’intégration, et demeurent, pour le moment, empiriques,
appelant à en envisager d’autres, éventuellement, sur le terrain judiciaire.

Relativement aux rapports pouvant être entretenus entre juridictions suprêmes


communautaires, les solutions conduisant à les démêler débouchent, à leur tour, sur une
impasse. Ce constat transparaît dans un Avis consultatif du 2 février 2000,20 dans lequel la
Cour de Justice de l’UEMOA a fait remarquer que, la CCJA ne peut saisir la Cour de Justice
de l’UEMOA en renvoi préjudiciel, parce qu’elle n’est pas une juridiction nationale, et que
l’interprétation par la Cour de Justice de l’UEMOA, des Actes uniformes, porterait atteinte à
l’exclusivité de la CCJA à l’application et à l’interprétation des Actes uniformes. Chacun des
systèmes en présence revendique la primauté de ses textes, le juge national ou communautaire
est confronté à d’inextricables difficultés, source d’insécurité juridique au sein de l’espace
OHADA.

B.- LA SUBORDINATION DE L’APPLICATION DES ACTES UNIFORMES A DES


DISPOSITIONS DU DROIT NATIONAL
Prenant en quelque sorte, à contrepied le principe de la supranationalité, les dispositions du
Traité de l’OHADA concernant le droit pénal, et les contraintes techniques imposant le
respect du droit interne des Etats membres, constituent aussi des limites à l’œuvre
d’uniformisation.

a) Les limites de l’OHADA résultant des incriminations pénales


Alors que les alinéas 2 et 3 de l’article 5 du Traité de l’OHADA prévoit que, « les Actes
uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale », et les « Etats-parties
s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues », son article 14, alinéa 3 exclut de la
compétence de la Cour commune, « ... les décisions appliquant des sanctions pénales ». A
titre d’exemples, alors que les articles 43, 68 et 108 de l’Acte uniforme relatif au droit

18
cf. Cour Suprême du Niger, Chambre judicaire, 16 août 2001, Arrêt n° 01-158/c du 16/08/2001.
19
Sur les conflits de normes et de juridictions, voir, entre autres, Kouassi Kouadio, Conflits de normes et
application du droit communautaire dans l’espace OHADA, Communication au Colloque International sur 1es
conflits de normes, Lomé, 8-9 octobre 2010 ; Joseph Issa-Sayegh, conflits entre droit communautaire et droit
régional dans l’espace OHADA, Ohadata D-06-05 ; Tidiane Ndiaye, Conflit de normes en droits
communautaires, Ohadata D-08-06.
20
Avis n° 001, dossier 6-99, 2 février 2000, Revue Burkinabé de Droit, 2000 - p. 127.
commercial (AUSDCG), et 886 à 905 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés
commerciales du GIE (AUSC) définissent des incriminations concernant ces matières, la prise
de sanctions réprimant les agissements visés n’est réservée qu’aux législateurs nationaux.
Ainsi, s’opère un partage de compétence entre l’OHADA, qui peut définir les éléments
matériels et moraux de l’infraction, et les Etats-parties, qui doivent déterminer les sanctions
pénales. C’est ce qui a fait dire au Professeur ISSA-SAYEGH, qu’« un tel phénomène est
d’autant plus remarquable que d’autres organisations compétentes en matière
d’uniformisation du droit n’ont pas eu la même délicatesse » et que « cette dualité de
compétences n’est pas sans présenter des inconvénients ».21 Ainsi, certains Etats-parties
n’auront peut-être pas à prendre de nouvelles sanctions, tandis que d’autres ne pourront pas y
échapper. A ce jour, la majorité des Etats, y compris la Côte d’Ivoire, n’ont toujours pas pris
les sanctions correspondantes aux incriminations. Aussi, lesdits inconvénients ont-ils conduit
le Professeur ISSA-SAYEGH à évoquer les interrogations suivantes : au cas où, les
infractions prévues par l’OHADA auraient déjà leurs correspondances en droit positif interne,
que faut-il décider, si elles sont définies différemment sur le plan interne ? Faut-il admettre
que, malgré les différences (plus ou moins importantes) des éléments matériels, les sanctions
sont appelées à jouer quand même, ou bien qu’en vertu du principe de l’application stricte des
lois pénales, ces sanctions ne pourront être infligées et qu’il faut en prévoir d’autres ? Si la
seconde solution, plus prudente et plus proche des principes fondamentaux du droit pénal, est
retenue, c’est tout le droit pénal interne des affaires qu’il faut revoir pour le faire coïncider
avec celui de l’OHADA (ce qui fait intervenir l’agaçant problème de la mise en conformité
des législations nationales avec le droit OHADA).

Par ailleurs, le Professeur Pierre MEYER relève que, l’observation sur la cassation en matière
pénale est susceptible d’être étendue à toute espèce de pourvoi en cassation, et laisse alors
entrevoir le danger d’une relation conflictuelle et de portée beaucoup plus large entre la Cour
commune et les juridictions nationales.22

Poursuivant la réflexion, l’auteur retient qu’il n’est évidemment pas impossible d’imaginer
qu’un pourvoi en cassation implique, à la fois, une ou plusieurs règles de droit uniforme et
une ou plusieurs dispositions de droit national non harmonisé (droit civil ou droit processuel,
par exemple). Comment faut-il, dans ces cas, régler le partage de compétence entre la
juridiction commune et les juridictions nationales ?

Faut-il attribuer compétence pour l’intégralité du litige à la Cour commune ? Au contraire,


faut-il attribuer compétence intégrale à la juridiction nationale de contrôle de légalité ? Faut-il
former deux pourvois en cassation contre la même décision, l’un devant la juridiction
nationale de cassation et l’autre devant la juridiction commune ? Faut-il former un seul
pourvoi avec deux moyens destinés à deux juridictions différentes, de sorte que la juridiction
nationale de cassation renvoie l’affaire devant la CCJA après s’être prononcée sur
l’application des dispositions de droit interne non harmonisé ? Ou l’inverse, c’est-à-dire
d’abord saisir la CCJA qui, après s’être prononcée, renvoie devant la juridiction nationale de
contrôle de légalité ? Cette situation de conjonction de moyens fondés sur des normes
juridiques différentes est pourtant, loin d’être exceptionnelle. Elle ne trouve dans les relations
instituées entre les juridictions nationales et la Cour commune de l’OHADA, aucune solution
satisfaisante.

21
cf. Joseph ISSA-SAYEGH, Quelques aspects techniques de l’intégration juridique, article précité, n° 12, p. 10.
22
Pierre MEYER, L’intervention des juridictions nationales et de la Cour commune : Une meilleure articulation
est-elle possible ? article précité, p. 4.
b) Les contraintes techniques imposant le respect du droit national
Se référant, une fois de plus, aux réflexions du professeur ISSA-SAYEGH,23 il convient de
retenir, avec ce dernier, que la volonté d’uniformiser, aussi puissante soit-elle, « se heurte
également à des contraintes techniques irréductibles qui obligent à respecter le droit national
des Etats-parties, soit à travers le droit commun, soit à travers les règles spéciales.

1) Obligation de respecter le droit commun national


En premier lieu, il faut bien considérer que le droit des affaires est un droit spécial qui obéit,
avant tout, au droit commun des personnes, des biens, des actes et des faits juridiques. Il doit
donc en tenir compte dans toute la mesure du possible, sans qu’il soit nécessaire de le
reprendre ou d’y retoucher par une loi uniforme. Il en est ainsi quand, un Acte uniforme
renvoie expressément au droit de la vente, pour la validité et le régime juridique de la vente
entre professionnels (article 205 AUDCG) ou de la vente du fonds de commerce (article 115
AUDCG) ; au mandat, pour le statut des intermédiaires de commerce (articles 206, 207, 221,
223 à 235, 231, 272 AUDCG pour la vente commerciale) ; au droit foncier national, pour la
réglementation de l’immatriculation des terres (article 253 AUVE) ; aux règles de preuve
(article 242 AUSC) ; aux règles nationales du droit international privé (article 140 AUSCG) ...
En d’autres termes, il existe une combinaison avec les dispositions du droit commun ivoirien,
qui subsiste lorsque l’Acte uniforme n’a rien prévu.

Outre ces renvois explicites, il est incontestable que les Actes uniformes renvoient
implicitement au droit commun national, chaque fois qu’ils utilisent des concepts ou des
règles provenant de celui-ci. Il en est ainsi, par exemple, lorsqu’ils évoquent la solidarité
(article 270 AUSC), la prescription (articles 18 et 274 à 282 AUDCG), la compensation
(articles 30 AUVE et 67 AUPC), la dation en paiement (article 25 AUS), l’incapacité
juridique et l’émancipation, les interdictions et les incompatibilités (articles 7 à 10 et 138
alinéa 2 AUDCG et 7 à 8 AUSC), les immeubles et les droits réels immobiliers (article 119-2°
AUS), les meubles corporels ou incorporels (article 46 AUS) ... qu’ils ne font que nommer
sans les définir, renvoyant ainsi implicitement aux droits communs nationaux, à cet effet. Le
risque n’est-il pas grand, alors, de voir se dégrader l’uniformisation recherchée si, les droits
nationaux divergent sur ces concepts ? s’interroge le Professeur ISSA-SAYEGH, dans
l’hypothèse où, des Etats étrangers au système juridique de l’OHADA adhéreraient à cette
Organisation.24

2) Obligation de respecter les règles spéciales nationales


Les Actes uniformes contiennent plus d’une disposition renvoyant à des règles de droit
national, qu’il est impossible ou inconcevable de réduire à l’uniformatisation, pour des raisons
économiques, sociales ou politiques. La quantification monétaire des engagements des parties
à un contrat en est une illustration. Tous les Etats-parties de l’OHADA n’ayant pas
nécessairement une monnaie commune, il est prévu que la monnaie CFA utilisée pour
exprimer le montant du capital social ou du nominal des droits sociaux doit être exprimée en
sa valeur de monnaie étrangère, pour les pays qui ne font pas partie de la zone CFA
(article 906 AUSC).

23
cf. ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 20 p. 13.
24
cf. Joseph ISSA-SAYEGH, op. cit. n° 21, p. 13 ; les références aux articles dans le 1) correspondent à ceux de
l’Acte uniforme relatif au Droit Commercial Général adopté le 17 avril 1997.
Le taux des intérêts moratoires prévu pour sanctionner le retard apporté au paiement d’une
dette en argent ne peut être que celui d’un Etat-partie (article 291 AUDCG pour le paiement
du prix de la vente ; article 43 AUSC pour le règlement de l’apport en numéraire d’un
associé), la fixation du loyer commercial est libre sous réserve des dispositions législatives ou
réglementaires à la matière (article 84 AUDCG) ; sans’ oublier que ce dernier acte prévoit, de
façon générale, que le commerçant reste soumis aux lois non contraires applicables dans
l’Etat-partie où celui-ci exerce son activité. Pour la Côte d’Ivoire, il s’agit des obligations
professionnelles du commerçant résultant des articles 8 et suivants du Code du commerce, de
la Loi 64-292 du 1er août 1964 relative aux obligations des commerçants et à la modification
des articles 147 et 150 du Code pénal, du Décret n° 625 du 03 janvier 1962 portant
réglementation du registre du commerce, et également du Décret du 15 septembre 1928
portant règlement d’application publique pour la détermination des conditions d’application
de la Loi du 18 mars 1919 créant un registre du commerce.

Le domaine de la procédure est ainsi qu’il a été rappelé, un domaine exemplaire de tels
renvois au droit national spécial. La détermination d’une quotité cessible et saisissable des
salaires est nécessaire pour protéger la fraction alimentaire de ces revenus. Elle dépend,
étroitement, du niveau de vie et des rémunérations propres à chaque pays, si bien qu’elle
échappe à l’uniformisation et doit être spécifiquement prise en compte à partir de la loi
nationale pour l’assiette du super privilège des salaires (articles 166 et 167 AUPC) et le taux
autorisé de la cession ou de la saisie des salaires et rémunérations (articles 177 et 178 AUVE).
La détermination des biens et des personnes saisissables, du quantum de l’exécution
provisoire, du caractère exécutoire des décisions de justice et autres titres, est laissée à la
souveraineté nationale (articles 50, 51, 33 alinéa 5 et 30 alinéa 3, 27 AUVE). Il en est de
même des règles de compétence judiciaire (articles 4, 120, 174 in fine AUVE) ou
administrative (article 42 AUVE), de formalisme des actes de procédure (article 47 AUVE),
d’appel (article 15), de la fixation des jours fériés (article 46 AUVE).

Les sûretés légales constituent un autre domaine, où le respect des règles spéciales s’impose
pour des raisons tenant à la souveraineté nationale. En effet, peut-on empêcher un Etat de
créer une sûreté légale (hypothèque forcée, privilège général ou spécial) au profit d’une
créance qu’il juge digne d’intérêt ? Certainement, non. C’est pourquoi cette faculté lui est
expressément réservée en matière mobilière (article 179, alinéa 2 AUS) et immobilière
(article 209, alinéa 2 AUS).

Même le droit des sociétés n’échappe pas à cette réticence à effacer tout particularisme
national justifié par des besoins économiques, sociaux ou professionnels d’un pays. C’est
ainsi que s’explique la disposition de l’article 916 de l’AUSC, qui décide que ne sont pas
abrogées les dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un
régime particulier (banques, assurances, sociétés nationales ou d’économie mixte ... ) ou son
article 10 permettant l’établissement des statuts par acte notarié ou tout autre acte équivalent
selon la loi nationale.

C.- L’INSUFFISANTE APPROPRIATION DU DROIT OHADA PAR LES


UTILISATEURS DE SON ESPACE
La sécurité juridique recherchée dans le cadre des institutions d’intégration ne doit pas
simplement s’accommoder de l’adoption d’Actes uniformes ou de directives. Elle doit, pour
être réelle, s’accompagner de mesures destinées à renforcer l’efficacité des textes produits.
Or, au-delà du problème sournois, mais réel, de la contestation de la compétence exclusive de
la CCJA par certaines juridictions suprêmes des Etats-parties, subsistent d’autres aspects de
l’insuffisante appropriation des textes de l’OHADA par les populations de ses Etats membres.

En ratifiant un traité d’union, les Etats-parties décident de consentir une importante délégation
de pouvoir à l’Institution mise en place, qui soustrait aux parlements, aux organes exécutifs et
même aux Cours de cassation nationales, leurs pouvoirs législatifs, réglementaires et
judiciaires dans les domaines concernés. Cette concession de souveraineté nationale doit
s’exprimer dans une volonté politique, manifestée à travers le respect, par les autorités de
l’Etat, de leurs engagements politiques et financiers à l’égard de l’Institution (pacta sunt
servanda). Ce principe fondamental du droit des traités, comme du droit des obligations
contractuelles dans l’ordre interne signifie que, ce qui a été définitivement et légalement
approuvé doit être respecté.

Relativement à l’OHADA, ce respect des engagements devrait être concrétisé par la prise de
mesures d’accompagnement permettant l’application effective des Actes uniformes adoptés.
En effet, pour que ceux-ci ne restent pas simplement un droit « papier », inapplicable et
inappliqué, les mesures de mise en conformité du droit interne par rapport au droit
communautaire devraient intervenir, complétées par la diffusion des textes du droit
harmonisé, cette diffusion étant nécessaire à leur application. Il s’agit d’une priorité pour les
autorités politiques car, constituant un droit nouveau et supranational, la vulgarisation de ces
Actes est un des instruments essentiels pour surmonter les résistances, en créant une culture
OHADA et un sentiment d’appartenance.

Dans ce contexte, les actions de formation qui, jusqu’ici, ne sont entreprises qu’en direction
des magistrats et des auxiliaires de justice, devraient également être dirigées vers les
enseignants juristes. Il revient à ceux-ci, de partir des données brutes et sèches des textes pour
en rendre compte dans une présentation cohérente et exhaustive, et selon un discours
intelligible, non seulement pour les justiciables, mais aussi, pour les futures praticiens du
droit ; car, pour bien former les autres, l’on a besoin d’être bien formé soi-même.

Mais, si les actions de formation devraient s’adresser aux enseignants, ainsi qu’aux
professions juridiques (magistrats, avocats, opérateurs économiques et étudiants), elles ne
devraient pas pour autant, exclure le grand public qui, à partir de la connaissance de quelques
règles essentielles de base, pourrait ainsi avoir un réflexe d’« alerte », le conduisant à
consulter un professionnel. La formation devrait également s’étendre en direction des
journalistes (souvent oubliés).

Par ailleurs, la prise de mesures passe aussi par les actions de publication. Cependant, suffit-il
que les textes communautaires soient publiés au Journal Officiel (J.O.), pour qu’ils soient
connus ? La réponse n’est, malheureusement, pas sécurisante : le J.O., qu’il soit par exemple
de l’OHADA ou celui de l’Etat-partie, ne paraît pas régulièrement et lorsqu’il paraît, seuls les
lecteurs assidus, réguliers et avertis de cette austère publication sont informés de la
promulgation des textes, c’est-à-dire que peu de personnes en fin de compte, en tout cas, pas
la majorité des justiciables ou des avocats. Faute d’une publication régulière, spécialement
destinée à renseigner sur la parution des nouveaux textes au fur et à mesure de leur
promulgation, il est difficile d’être mis au courant de l’activité juridique et judiciaire.

Le remède est clair : permettre aux utilisateurs du droit d’y accéder sans trop de difficultés,
soit sur support papier, par le biais des bibliothèques et des centres de documentation (CNDJ,
par exemple), soit sur support informatique, à l’aide de sites internet, de bases de données
juridiques, de CD-ROM, etc.
Enfin, non seulement l’édition de fiches, plaquettes, ou autres instruments de vulgarisation et
d’information à l’attention du grand public s’avère indispensable dans chaque Etat-partie,
mais la même observation mérite d’être faite ~ propos de la jurisprudence de la CCJA qui a
besoin d’être connue et de s’imposer aux Cours de Cassation Nationales.

Toutes ces attentes, non comblées, prennent leur origine dans une absence de volonté
politique révélée, une fois de plus, par le Traité révisé de Québec, qui n’a pas eu le courage de
trancher définitivement certains problèmes.

Ainsi, ne fallait-il pas, par exemple, revoir le contenu de l’article 2 du Traité, qui dérive de
plus en plus vers le droit économique au lieu de se concentrer sur un droit des affaires
strictement entendu ?

En outre, pourquoi n’avoir pas profité de la révision du Traité pour institutionnaliser les
Commissions Nationales OHADA, ainsi que le renforcement de leur rôle, alors qu’elles
constituent la cheville ouvrière de l’Organisation ?

Enfin, pourquoi, les ministres des Finances des Etats parties continuent-ils de bouder les
réunions du Conseil des Ministres de l’Organisation dont ils constituent, pourtant, les "
“Initiateurs” et que ceux de la zone UEMOA refusent-ils de mettre en œuvre le règlement
portant mécanisme de financement autonome de l’OHADA ?

Ces quelques interrogations qui traduisent les atermoiements des “Créateurs” de l’OHADA
sont, malheureusement, confortées par le constat suivant : bien que les arrangements de
N’Djamena aient été abolis, le respect des critères de mérite qui devraient guider le choix des
magistrats de la CCJA et des responsables des organes de l’Organisation s’avère, à son tour,
être une énigme, tant la sélection des candidats se conjugue à l’aune du mandarinat politique.

Certes, il est indéniable que le droit international, de façon générale, et le droit


communautaire, de façon spécifique, occupent une place de plus en plus importante parmi les
normes applicables à l’intérieur des Etats. Mais, ces nombreux instruments internationaux,
pour produire les effets attendus au bénéfice des populations, doivent être correctement
appliqués par les administrateurs, les entreprises et les particuliers.

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