ABAZA
ABAZA
ABAZA
KHALED ABAZA∗
Mots clés: forêt reboisée, incendies, végétation, régénération post-incendie, Dar Chichou, Presqu’île du Cap
Bon, Tunisie.
The assessment of spontaneous regeneration of post-fire forest vegetation in Dar Chichou Forest (Cape
Bon, North-East of Tunis). This paper examines the impact of fires on semiarid Mediterranean forests. From
July 14 to July 20, 2011, the vast forest of Dar Chichou, located in the northern end of the Cap Bon peninsula,
suffered very serious damage of more than 400 hectares of natural and artificial vegetation. Based on several
observations and fieldwork measurements conducted between September 2011 and September 2014, this study
assesses the impact of various disturbances caused by the July 2011 fires biodiversity in a Tunisian context,
where the forest, in addition to climatic and ecological conditions that trigger fires, has been experiencing a
very strong human pressure. In addition to the almost total carbonization of the fauna and flora of the devastated area
observed the day after the outbreak of the disaster, the study highlights a good natural regeneration of vegetation, in
particular broadleaf trees and secondary vegetation, but according to very varied rhythms and aspects.
1. INTRODUCTION
Les forêts tunisiennes ont toujours été des milieux fortement exposés à la dégradation à travers
l’élevage extensif des troupeaux d’ovins, caprins et bovins et le déboisement par les riverains en
particulier au cours des années de sécheresse ou à hivers particulièrement rigoureux. Les incendies
demeurent de loin la principale menace pour l’espace forestier tunisien (Chendoul, 1986; Le Houerou,
1987; Gammar et al., 2004; Belhaj Khether et al., 2012). En effet, les statistiques des incendies de la
Direction Générale des Forêts soulignent qu’entre 1985 et la fin de 2012, 3911 incendies des forêts
ont étés recensés en Tunisie. La superficie incendiée est de 32270 ha, pour une moyenne annuelle de
156 incendies et 1291 ha détruits. En outre, les trois dernières années caractérisées par des troubles
sociopolitiques ont été les plus dévastatrices avec un total de 555 incendies enregistrés, détruisant
2707 ha (Chriha, Sghari, 2014). L’essentiel des sinistres ont été enregistrés dans les formations
forestières dans la Dorsale et la région tellienne.
Du 14 au 20 juillet 2011, le vaste massif forestier de Dar Chichou, situé dans l’extrémité Nord
de la presqu’île du Cap Bon (Fig. 1), a subi plusieurs incendies d’origine criminelle (D.G.F.2011), qui
ont profondément perturbé la dynamique des différentes composantes des milieux et engendré des
transformations paysagères remarquables dans cette région. En effet, la Direction Générale des Forêts
et la Protection Civile classent les incendies des forêts selon leur gravité en quatre degrés. Le
quatrième est le plus grave. Les incendies de Dar Chichou sont classés dans cette catégorie.
Une des questions que l’on se pose après un incendie de forêt est quelle est la capacité des
écosystèmes à se reconstituer par eux même, et par conséquent quelle est l’opportunité d’engager des
travaux pour favoriser leur reconstitution? L’étude qui nous est présentée ici, essaye d’examiner les
changements de végétation après incendies sur différents sites incendiés de la forêt artificielle de Dar
Chichou. Le suivi de la végétation a été fait sur les trois premières années qui ont précédés à enlever
ces sinistres. Certes, cette période courte ne permet pas de dresser un bilan de la reconstitution de la
∗
Docteur, Université de Tunis, Biogéographie, Climatologie Appliquée et Dynamique Érosive Département; Institut
Préparatoire aux Études Littéraires et des Sciences Humaines de Tunis; courriel: khaledafifabaza@yahoo.fr ./
khaledafifabaza@gmail.com .
Rev. Roum. Géogr./Rom. Journ. Geogr., 59, (2), p. 159–172, 2015, Bucureşti.
160 Khaled Abaza 2
végétation post-incendie, mais elle est capitale, car c’est pendant cette période que la reconstitution de
la végétation est spectaculaire (Trabeaud, 1984).
Dans un premier volet, la présentation du cadre bio-physique de la région d’étude et la méthodologie
employée servira de support pour mieux comprendre les différents aspects de comportements des végétaux
face à l’action des feux de juillet 2011. Dans un deuxième temps, l’exploitation d’un suivi diachronique
d’une série de placettes disposées dans différents contextes spatiaux permet de rendre compte des
différentes réponses de la végétation post-perturbation dans les milieux incendiés de la forêt de Dar
Chichou.
Comme le cas de toute la partie septentrionale du Cap Bon, les milieux incendiés en juillet 2011
dans la forêt de Dar Chichou sont soumis aux influences méditerranéennes maritimes. La station de
Kélibia est soumise à une ambiance bioclimatique subhumide. Son total annuel moyen de précipitations est
de l’ordre de 633 mm. Par ailleurs, ces quantités de pluies se caractérisent par une grande irrégularité à
l’échelle annuelle (Fig. 2).
A l’échelle interannuelle, la variabilité est également forte. Ainsi, a-t-on enregistré 1083 mm en
1995/96, contre 328,4 mm seulement en 1986/87.
Les températures moyennes annuelles dans le secteur d’étude sont comprises entre 17 et 18°C.
Le mois de février est le plus frais avec une moyenne de 11,9° C. Au mois d’août, on peut observer un
maximum absolu de plus de 43°C. En été, les fortes chaleurs combinées à la sécheresse diminuent
énormément l’humidité de l’air, ce qui expose davantage la végétation dans le secteur d’étude aux risques
d’incendie.
En outre, le secteur d’étude est très venté, en particulier dans les couloirs inter-dunaires. Tout au
long de l’année, les situations de calme sont rarement observées (BOURGOU M. 1982, BRUN S.
2007). Dans la station de Kélibia, le nombre de jours sans vents ne dépasse pas 12% des observations
au cours de la période qui s’étend entre 1975 et 1998.
Tableau 1
Répartition mensuelle des vitesses des vents par direction dans la station de Kélibia (1975–1998)
Mois Jan. Fév. Mars Avr. Mai Juin Juil. Août Sept. Oct. Nov. Déc.
Vitesse (m/s) 21,1 21,2 21,3 19,4 19,9 19,2 17,4 18,2 17,6 16,7 18,9 20,5
Direction W WNW W W W WNW NW WNW NNW W W W
Source: Institut Nationale de Météorologie
Au total, le cadre climatique général du secteur d’étude est marqué par l’ampleur de la
sécheresse estivale (Fig. 2). Ce déficit hydrique climatique accentue davantage l’assèchement des
organes végétatifs des plantes (feuilles, aiguilles, brindilles, morceaux d’écorces…) et par conséquent,
accentue le risque de déclenchement et de propagation des feux dans l’espace forestier.
En poussant et en canalisant les feux (en particulier, dans les couloirs inter-dunaires), les vents
forts, fréquents et chauds en été, augmentent le risque d'éclosion des feux dans l’espace forestier et
favorisent le développement de grands incendies très ravageurs et difficiles à combattre comme ceux
de juillet 2011.
162 Khaled Abaza 4
Tableau 2
Quelques données climatiques enregistrées le 14 juillet 2011 dans la station de Kélibia
Température maximale Température minimale Valeur minimale Vent moyen
(C°) (°C) de l'humidité à 17 (%) en m/s
31,3 25 31 6,08
Source: (Infoclimat.fr)
Mis à part la chute remarquable de l’humidité relative de l’air observée à 17 heures le jour du
déclenchement des feux dans l’espace forestier, les autres valeurs sont nettement au dessous des
moyennes mensuelles et saisonnières. En effet, avec 28,15°C, la température moyenne relevée le 14
juillet 2011 est inférieure à celle du mois de juillet (Fig. 2). Quant à la vitesse des vents, la valeur
enregistrée se classe dans la catégorie «des vents faibles à modérées», définie par Ben Boubaker et al. 1
en 2009. Par conséquent, on pense que les conditions météorologiques qui ont été enrégistrées le jour
des incendies n’ont joué qu’un rôle secondaire dans l’éclosion et la propagation des feux dans la forêt
de Dar Chichou.
Les lambeaux forestiers échappés aux feux parsemés dans les secteurs sinistrés et les données
bibliographiques permettent de reconstituer les caractéristiques de cette végétation avant le déclenchement
de ces incendies.
Résultant majoritairement de plusieurs générations d’actions de reboisement entreprises depuis
les années 1920 dans des milieux sableux instables, la couverture végétale dans le secteur d’étude
1
Selon Ben Boubaker H. et al., 2009, les vents faibles à modérés "correspondent à des vitesses de vent moyen
inférieures à 15 m/s ou des rafales inférieures à 20 m/s".
5 Régénération de la végétation post-incendie. Foret de Dar Chichou (Tunisie) 163
avant les incendies de juillet 2011 était caractérisée par son taux de recouvrement végétal très élevé
(généralement supérieur à 100%) et son hétérogénéité aussi bien sur le plan floristique que sur le plan
physionomique (Bourgou, 1982; D.G.F., 1995; Brun, 2007). En effet, les différentes opérations de
reboisement effectuées dans le secteur étudié ont utilisé des espèces introduites caractérisées à la fois
par leur croissance rapide et leur grande faculté à résister à l’action destructive des embruns marins
(Brun, 2007). Il s’agit surtout, de résineux, Pinus pinea (pin pignon), Pinus halepensis (pin d’Alep) et
Cupressus spp. (Cyprès), d‘acacias (Acacia cyclopis et Acacia cyanophylla) et d’eucalyptus
(Eucalyptus occidentalis et Eucalyptus gomphocephala) pour les feuillus. Ces essences formaient une
strate forestière très dense (taux de recouvrement supérieur à 90%) constituée selon les milieux, soit
d’eucalyptus, soit de pin pignon et de pin d’Alep. Les arbres dans cette strate s’individualisent par
leurs ports érigés et leurs houppiers assez bien développés.
Dominée par de taillis de chêne kermès (Quercus coccifera), des genévriers (Juniperus
oxycedrus et Juniperus Phoenicea) et de lentisque (Pistacia lentiscus), la végétation du sous-bois
présente un aspect buissonnant et touffu témoignant d’une dégradation ancienne. Plusieurs groupes
d’espèces végétales peuvent être soulevés dans le sous bois selon les caractères écologiques
stationnels. Un sol légèrement humifère plus profond laisse apparaître une végétation de lentisque
(Pistacia lentiscus), de filaire (Phillyrea angustifolia), de palmier nain (Chamaerops humilis),
d’hélianthème à feuille d’Halimus (Halimium halimifolium) et de lavande à toupet (Lavandula
stoechas). La végétation sur les sables mal fixés est composée par le canne d’Egypte (Saccharum
aegyptiacum), l’oyat (Ammophila arenaria ssp. arundinacea), le retam (Retama monosperma ssp.
bavei), l’Acacia cyanophylla. Le myrte (Myrtus communis), les joncs et laurier rose soulignent la
présence d’une humidité supplémentaire dans les sols (bas fonds, ravines, nappes d’eau superficielles).
Enfin, l’enrichissement du sous bois par le romarin (Rosmarinus officinalis), les cistes (Cistus
monspeliensis et Cistus salviifolius), l’alfa (Stipa tenacissima), les thyms, les genêts épineux (Calicotome
villosa), Erica arborea… indique l’accentuation stationnelle de la sécheresse édaphique et du taux de
Bicarbonate de calcium dans le sol. Par ailleurs, ce reboisement a engendré aussi un enrésinement
important de la végétation dans la partie incendiée de la forêt artificielle de Dar Chichou. En effet,
plusieurs étendues sont couvertes par des peuplements denses et mono-spécifiques à pins (Fig. 6).
Même si cet espace forestier est totalement mis en défens et profite de diverses actions
d’aménagements préventifs (présence d’un service forestier local, nettoyage, contrôle continu, coupe
d’éclaircissement, ouverture des chemins d’accès…) dans le cadre de différents Procès Verbaux
d’Aménagement réalisés par l’Administration Forestière depuis les années 1960, cet enrésinement de
la végétation implique la généralisation d’un haut degré de risque d’incendies de forêts, dans ces
étendues forestières. Ce risque s’amplifie davantage par la grande quantité de litière libérée par cette
végétation: des feuillus (Eucalyptus spp.) et d’aiguilles mortes (pins d’Alep et pin pignon), des
brindilles, des cônes et des glands qui s’accumulent à la surface du sol, formant ainsi, une matière très
inflammable. Ces facteurs expliquent la propagation rapide des feux dans l’espace forestier lors des
sinistres et la carbonisation quasi-totale de la végétation et de litière sur une superficie totale de près
de 400 ha (D.G.F. 2011) observées le lendemain des incendies (Fig. 5).
Dans les milieux incendiés de la forêt de Dar Chichou, les parcelles forestières relèvent de la
propriété privée (BRUN S. 2007). Elles constituaient d’anciens terrains privés collectifs ou «Henchirs»2 sur
des terrains sableux dénudés. Leur reboisement au cours des années 1920 s’est effectué sous contrats
de reboisement entre les propriétaires de ces terres d’une part et l’Administration Forestière de
l’époque. Cette situation foncière délicate est à l’origine des conflits permanents entre l’Administration
Forestière et les propriétaires de ces milieux forestiers. Ceci est attesté par le nombre élevé des délits
enregistrés ente dans la forêt de Dar Chichou entre 1997 et 2000.
Après le changement du régime politique du 14 janvier 2011 en Tunisie, les propriétaires, profitant
de la situation nouvelle, ont amplifié leurs revendications afin de se dégager des contraintes de
l’administration forestière dans le but de transformer leurs statuts fonciers dans un premier temps par
leur défrichement systématique, puis par leur lotissement dans un deuxième temps, surtout que le site
présente plusieurs atouts (à proximité de la belle plage sableuse d’Ezzahra, du site archéologique de
Kerkouane, d’une zone caractérisée par une forte urbanisation et un dynamisme touristique important,
site abrité par Jebel Sidi Abderrahmène, le point culminant dans la presqu’île du Cap Bon…).
2
“Henchirs” est un terme arabe qui signifie de grandes propriétés privées. Il est utilisé par les auteurs de la carte
topographique de la Tunisie '(feuille de Kélibia et du Cap Bon, type 1922).
7 Régénération de la végétation post-incendie. Foret de Dar Chichou (Tunisie) 165
Tableau 3
Infraction au Code Forestier dans la forêt de Dar Chichou 1997–2000)
Nature de délits Nombre
Pacage illicite 31
Colportage illicite des produits forestiers 19
Délits de coupe 18
Récolte des cônes de pin pignon 5
Délits de chasse 5
Occupation temporaire illicite 3
Carbonisation 3
Déversement des produits divers 1
Enlèvement des produits forestiers 16
Source: Direction Générales des Forêts (2000).
Le feu était pour eux la «meilleure solution» pour se débarrasser de cette végétation et atteindre
leurs objectifs, ce qui donne un caractère criminel à ces graves incendies. D’ailleurs, le déclenchement
des feux dans plusieurs endroits au même temps dans la forêt de Dar Chichou pourrait confirmer cette
hypothèse (Fig. 4).
Fig. 4 – Le déclenchement des feux dans plusieurs endroits Fig. 5 – Carbonisation quasi-totale de la végétation et de la
en même temps pourrait confirmer le caractère criminel des litière les milieux incendiés en juillet 2011 (Clichés:
incendies de Dar Chichou en juillet 2011. https://www.facebook.com/pages).
3. METHODOLOGIE
Pour observer les étapes de la reconstitution de la végétation incendiée dans le secteur étudié
nous avons utilisé la méthode directe (PAVILLARD 1935) ou méthode «diachronique». Il s’agit de
suivre au cours du temps les changements de la végétation sur des placettes permanentes installées
suite au passage des feux. Cette technique permet de mettre en évidence des variations, à la fois
physionomiques et floristiques de la végétation post-incendies. L’étude a porté sur les trois années
suivant les incendies de 2011. Le choix des placettes a été réalisé selon un échantillonnage stratifié. En
effet, ces stations d’observation occupent des sols à prédominance sableuse et sont situées dans des
sites topographiques et des formations végétales pré-incendies variés. Par conséquent, elles forment
des milieux assez hétérogènes (Tableau 4). Cette diversité des sites des placettes d’observation
permettent de cerner l’impact des conditions écologiques stationnelles et de la composition floristique
de la végétation pré-incendie dans la régénération forestière post-incendie.
Tableau 4
Sites des placettes d’observation
Numéro de Localisation et caractéristiques Végétation pré-incendie
la placette principales du site
Placette 1 Un terrain plat drainé par un petit ravin à Forêt dense d’Eucalyptus. Un peuplement ligneux à
écoulement saisonnier. végétation ripicole basse colonise le ravin.
Placette 2 Un couloir inter-dunaire. Forêt à pin pignon et pin d’Alep.
Placette 3 Complexe des nebkas de moins d’un mètre Forêt dense d’Eucalyptus.
de haut.
Placette 4 Un couloir inter-dunaire. Matorral bas dominé par les cistes (site d’une ancienne
clairière forestière).
Placette 5 Une petite dépression Matorral moyen et dense à oléastre, lentisque et filaire.
Placette 6 Un petit massif dunaire Forêt claire d’Eucalyptus, sous-bois dense à feuillus
(oléastre, lentisque, filaire et chêne kermès.
La technique d’observation consiste en une ligne permanente de 20 m de long dont les piquets
sont scellés dans le sol. La liste floristique de toutes les espèces présentes au moment du relevé est
effectuée sur 100 m² (2,5 m de part et d’autre de la ligne).
Tout au long de la ligne, des lectures quantitatives sont réalisées tous les 10 cm. A chaque point
d’observation, la présence, ainsi que le nombre des contacts par plante et par strate le long d’une
baguette métallique, sont notés. Ces deux types de mesures permettent d’apprécier la diversité
floristique et le taux de recouvrement végétal au moment de chaque observation.
Au total, 43 relevés de type Braun Blanquet ont été effectuée entre septembre 2011 et octobre
2014 dans 6 placettes d’observation de 20 m de côtés.
Afin d’apprécier les impacts des feux sur la diversité floristique et de suivre l’évolution de la
régénération de la végétation, nous avons procédé aux calculs des spectres biologiques bruts à partir
des relevés réalisés au cours de cette période d’observation sur une seule placette d’observation
choisie d’une façon arbitraire (la placette 2).
4. RESULTATS
4.1. Un spectre biologique dominé par les thérophytes après les incendies de juillet 2011
Les spectres biologiques bruts calculés à partir de trois observations réalisées au cours de la
saison du printemps sur la placette 2 située dans le site d’une ancienne pinède à pin pignon totalement
détruite au cours de cet incendie (Tableau 4) soulignent nettement la prépondérance des espèces
herbacées (notamment les thérophytes) qui totalisent près de la moitié des taxons présents lors des
9 Régénération de la végétation post-incendie. Foret de Dar Chichou (Tunisie) 167
observations. La situation est restée presque stable entre 2011 et 2014. Les individus recensés appartiennent
à des groupes d’espèces et des familles divers (sciaphiles, ripicoles, nitratophiles, silicicoles, Poacées,
Chénopodiacées, Fabacées, Papavéracées, Fumariacées, Brassicacées, Résédacées, Euphorbiacées,
Apiacées…).
L’augmentation des thérophytes s’explique par l’ouverture des milieux suite aux perturbations
engendrées par les incendies, profitable aux taxons passant la saison estivale sous forme des graines
enfouis dans les sols. Ce sont principalement des espèces fugaces comme Daucus carota, Ononis spp.,
Galium tunetum, Trifolium spp., Medicago spp. Stipa retorta, Papaver rhoeas, Reseda alba, Onopordon
nervosum, Convolvulus spp., Borago officinalis… qui ne restent pas présentes dans la végétation exprimée
par la suite (Trabaud et al., 1987).
Tableau 5
L’évolution du spectre biologique brut de la végétation sur la placette 2 entre avril 2012 et mai 2014
Avril 2012 Mai 2013 Mai 2014
Types biologiques Spectre biologique brut (%) Spectre biologique brut (%) Spectre biologique brut (%)
Phanérophytes 17 20 22
Chaméphytes 29 26 28
Hémicryptophytes 9 7 9
Géophytes 11 10 8
Thérophytes 34 37 33
Total 100 100 100
Par conséquent, le stock de graines a joué un rôle important dans cette reconquête des milieux
incendiés par les thérophytes (Bonnet et al., 2003). En effet, Leck et al. (1989) et Thompson et al.
(1997) ont montré que les stocks de graines dans les milieux forestiers méditerranéens sont formés
principalement par des espèces persistantes correspondant à des taxons herbacés. De ce fait, ces taxons
herbacés profitent de ces perturbations pour s’exprimer et recréer leur stock semencier (Bonnet et al.,
2003).
A l’inverse des types biologiques précédents, les phanérophytes (feuillus et résineux) sont peu
représentées dans les trois spectres biologiques bruts de la végétation des secteurs incendiés dans la
placette 2. En effet, les phanérophytes sont plus exigeantes du point de vue de la stabilité des milieux
et des conditions édaphiques et climatiques mésologiques. Leur reconquête massive après les feux
nécessite une période plus longue qui permettra une stabilisation progressive des milieux affectés par
les feux et surtout une amélioration des qualités des sols.
4.2. L’envahissement de plusieurs milieux incendiés par les acacias et par des espèces pyrophiles
lorsque les sables sont devenus suffisamment fixés, ces deux essences ont été totalement débroussaillées et
remplacées par les Eucalyptus spp. Pinus pinea. Pinus halepensis...
Tableau 6
L’évolution de la composition floristique de la végétation sur la placette.2 entre septembre 2012 et mai 2014
Septembre 2012 Mai 2014
Noms de l’espèce (%) (%)
Oléastre 5 7
Lentisque 9 13
Filaire 4 7
Myrte 1 4
Acacia spp. 8 12
Eucalyptus spp. 2 6
Pin pignon 2 3
Chêne kermès 3 5
Chaméphytes et herbacées 66 43
Par ailleurs, nous pensons que les semences des acacias enfouies dans le sol datant de cette
époque seraient à l’origine de cette régénération spectaculaire par graine des acacias dans ces secteurs
incendiées (Leck et al., 1989; Thompson et al., 1997).
Plus de 3 ans après les incendies de 2011, la reprise de la végétation dans les différents milieux
incendiés de la forêt de Dar Chichou est matérialisée par une régénération spontanée importante du
cortège floristique local et de la flore introduite après les actions de reboisement et de stabilisation des
milieux effectués depuis les années 1920. Cette dynamique a été constatée dans les différentes
placettes d’observation (Fig. 8).
La richesse floristique correspond au nombre d’espèces recensées dans sa forme épigée vivante
au cours du temps.
Après le déclenchement des feux, le terrain dans les 6 placettes d’observation était quasi-
totalement dénudé. Les plantes vont apparaître progressivement. La richesse floristique est faible
11 Régénération de la végétation post-incendie. Foret de Dar Chichou (Tunisie) 169
pendant les neufs premiers mois après l’incendie. Elle croît graduellement pour atteindre un maximum
près de 3 ans après l’incendie de juillet 2011, comme en témoigne la Fig. 8.
Exception faite de la placette qui occupe un milieu assez particulier (talweg à sols humifère),
cette étude montre une variation sensible de la richesse floristique entre les saisons. Les nombres les
plus élevés des taxons ont été enregistrés au cours des printemps (9, 22 et 34 mois après les incendies)
qui connaissent un développement remarquable des espèces herbacées (géophytes, thérophytes et
hémicryptophytes, Tableaux 5 et 6), notamment durant les années particulièrement pluvieuses. En automne
et en hiver, on observe une diminution notable de la richesse floristique.
La couverture végétale actuelle dans les milieux incendiés en juillet 2011 forme un matorral bas
à moyen assez dense puisque son taux de recouvrement moyen dépasse 80%.
Par endroits, particulièrement dans les dépressions (placette 5), les talwegs (placette 1) et les
creux inter-dunaires (placette 2), la végétation dominée par des sujets de feuillus comme les Acacia
spp., l’Eucalyptus spp. et le lentisque de plus de 60 cm de haut résultant d’une régénération par rejet
de souches, constitue une brousse impénétrable (Figs. 7 et 10).
Quatre conditions essentielles qui accroissent les potentialités d’accueil des milieux seraient à
l’origine de la vigueur de cette régénération post-incendie observée dans le secteur d’étude:
– l’ouverture du couvert végétal et la disparition de la couche épaisse de litière observée avant
l’incendie, ce qui a entraîné une meilleure pénétration de la lumière jusqu’au sol;
– la richesse des sols sablonneux en matière organique et en substance minérale, en particulier
dans le niveau supérieur;
– les conditions climatiques favorables enregistrées surtout au cours de l’automne et l’hiver des
années 2011 et 2012, marqués par l’abondance des pluies; ce qui a favorisé le développement en
abondance des souches de certains feuillus (Eucalyptus spp., oléastre, lentisque, chêne kermès, filaire,
myrte, Acacia spp…) et des herbacées;
– les opérations de nettoyage des différents milieux incendiés effectuées par le Service Forestier
Local au lendemain de l’incendie en 2011 par la collecte et le prélèvement de la biomasse végétale
carbonisée, ce qui a permis une meilleure aération des sols.
Par opposition aux feuillus, les résineux (pin d’Alep et pin pignon) montrent une faible
régénération pendant cette période, même dans les pinèdes pures et denses d’avant les incendies de
2011 (placette 2), comme en témoigne le Tableau 6. Quelques plantules de pin pignon de moins de
170 Khaled Abaza 12
Par rapport à la situation précédents les incendies de juillet 2015, les différents milieux incendiés
en 2011 dans la forêt de Dar Chichou ont connu une ré-installation spectaculaire des essences végétales
locales. Cette reconquête végétale des milieux après les perturbations dues aux feux a intéressé les
différents types des milieux incendiés (dunes sableuses mobiles, dunes légèrement fixées, sables grésifiés,
couloirs inter-dunaires, fonds des ravins...), certaines phanérophytes comme Pistacia lentiscus, Phillyrea
angustifolia, Olea europaea, Myrtus communis, Ceratonia siliqua, Quercus coccifera… et plusieurs
essences ligneuses secondaires caractéristiques de la flore du Cap Bon telles que; Cistus monspeliensis,
Cistus villosus, Cistus Salviifolius, Calicotome villosa, Lotus spp., Lavandula stoechas, Halimium
halimifolium, Prasium majus, Retama raetam, Chamaerops humilis… (Tableau 6; Figs. 7, 9 et 10).
Figs 9 et 10 – Régénération spontanée par rejet de souche de plusieurs espèces de feuillus comme le chêne kermès,
le myrte et le lentisque dans les milieux incendiés en juillet 2011 (Clichés de l’auteur, 2013).
3
Terme arabe qui signifie les graines du pin d’Alep.
4
Terme arabe qui signifie les graines du pin pignon.
13 Régénération de la végétation post-incendie. Foret de Dar Chichou (Tunisie) 171
5. DISCUSSIONS ET CONCLUSION
Cette étude présente un exemple illustrant l’extrême fragilité des espaces forestiers méditerranéens
semi-arides face aux feux. En effet, sept jours successifs de feux intenses en juillet 2011 étaient
capables de transformer 400 ha de la forêt centenaire de Dar Chichou en ruine végétale.
Le suivi de la régénération de la végétation durant les trois années après les incendies souligne
des dynamiques variées:
Ce travail montre l’importance des essences annuelles (notamment les thérophytes) dans la
végétation post-incendie. Elles totalisent près de la moitié des taxons présents lors des observations.
Ce phénomène est en rapport avec l’ouverture des milieux suite aux perturbations engendrées par les
feux, profitable aux taxons passant la saison estivale sous forme des graines enfouis dans les sols.
Alors que, les phanérophytes (résineux et feuillus) sont peu représentés du fait que ce type biologique
est plus exigeant du point de vue de la stabilité des milieux et des conditions édaphiques et climatiques
mésologiques. La situation est restée presque stable entre 2011 et 2014.
Les feuillus, notamment les acacias, le chêne kermès, l’oléastre et le lentisque, ont connu une
bonne reprise quelques mois après le déclenchement des feux alors que la régénération des résineux,
en particulier le pin pignon, était modeste et suivait un rythme lent durant les trois années post-incendies.
Un envahissement spectaculaire des milieux incendiés par les essences secondaires de type
pyrophytes a été également constaté après les sinistres de 2011.
Par rapport à la situation d’avant juillet 2011, les différents milieux incendiés ont enregistré une
reconquête remarquable de plusieurs groupes d’espèces caractérisant la végétation de la presqu’île du
Cap Bon, qui forment, par endroit, des matorrals moyens denses.
Les incendies qui ont à maintes reprises touchés les milieux forestiers tunisiens, surtout durant
les trois dernières années après la déstructuration du pouvoir politique en Tunisie en janvier 2011, ont
amené à chaque fois les médias et l’opinion publique à poser la question des responsabilités.
La préservation de notre précieux patrimoine naturel végétal passe, à notre sens, par la
réalisation des enquêtes sérieuses et apolitiques après chaque événement afin de préciser les causes
réelles des incendies. A ce propos, la révision du Code Forestier est indispensable dans l’objectif
d’instaurer une réglementation plus rigoureuse contre toute atteinte aux espaces forestiers et d’assurer
sa vulgarisation auprès des riverains des espaces forestiers souvent à faible niveau d’instruction.
La lutte contre la pauvreté et la marginalisation de la grande masse de la paysannerie riveraine
de l’espace forestier pourrait atténuer sensiblement le risque des feux dans les forêts tunisiennes, et ce,
surtout par la diversification de leurs sources de revenus, l’instauration des activités non nuisibles à la
forêt (apiculture, écotourisme…) et l’amélioration de leur niveau de vie, actuellement très modeste.
En contrepartie, l’amélioration des équipements et des moyens d’intervention et de contrôle de
l’espace forestier paraît être une condition nécessaire pour faire face aux feux des forêts et atténuer les
dégâts.
172 Khaled Abaza 14
Contrairement à certaines idées largement diffusées5, il serait déconseillé de reboiser les zones
sinistrées. En effet, cette étude a mis en évidence la capacité de ces milieux méditerranéens semi-
arides à rétablir spontanément leurs équilibres par une simple mise en défens, comme en témoigne la
bonne régénération de la végétation du secteur incendié de la forêt de Dar Chichou.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Abaza, K. (2013), De l'erg à la forêt. Dynamique des milieux et impacts du reboisement sur le paysage du Cap Bon. In
ouvrage collectif' "Des paysages", Publications de l’Ecole Normale Supérieure de Tunis, pp. 83–113.
Belhaj Khedher, C.H. (2012), Climat, végétation et incendie. Confrontation des informations globales et locales pour une
base des données cartographique. Mémoire de mastère, Fac. des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba, 114 p.
Ben Boubaker, H. (2010), Analyse et cartographie automatique des paramètres pluviométriques dans la presqu'île du Cap
Bon (Tunisie). In ouvrage collectif "Climat, Société et Dynamiques des paysages ruraux en Tunisie", Faculté des
Sciences Humaines et Sociales de Tunis, pp. 89–111.
Ben Boubaker, H., Fehri, N. (2009), Vents forts et vents extrêmes dans les principales villes côtières de la Tunisie: Mise au
point méthodologique et résultats préliminaires, Geographia thechnica, Numéro spécial. pp. 59–66.
Bonnet, V., Thiery, T. (2003), Analyse spatiale et fonctionnelle de la réponse de la végétation après incendie en basse
Provence calcaire. Forêt méditerranéenne, t. XXIV, no. 4, pp. 385–402.
Bourgou, M. (1982), Les accumulations dunaires de la péninsule du Cap Bon (Tunisie): étude géomorphologique.
Publications de l’Université de Tunis, 198 p.
Brun, S. (2007), Dynamiques des unités paysagères d’un boisement en région littorale. Forêt des dunes de Menzel Belgacem.
Cap Bon. Tunisie, Thèse de Doctorat. Paris IV (Sorbonne), 312 p.
Chandoul, H. (1986), Le problème des feux de forêt en Tunisie. Actes de séminaire sur les Méthodes et matériels à utiliser
pour prévenir les incendies de forêt. Valence, Espagne, 29 septembre – 4 octobre 1986, 15 p. + annexes.
Chriha, S., Sghari, A. (2014), Les incendies de forêt en Tunisie, les séquelles irréversibles de la révolution de 2011. Revue.
Méditerranée, pp. 87–93.
Direction Generale des Forets (D.G.F.) (1995), Résultats du Premier Inventaire Forestier National en Tunisie. Tunis, 154 p.
Direction Generale des Forets (D.G.F.) (2010), Inventaire Forestier et pastoral National. Direction Générale des Forêts,
Tunisie, 180 p.
Gammar, A.M. (1999), Evolution des incendies et de l'espace forestier en Tunisie depuis le XIXème siècle. Actes du colloque
"les incendies des forêts méditerranéennes : prévention, extinction, érosion du sol, reforestation", UNESCO, Athènes, 8 p.
Gammar, A.M., Ben Salem M. (2004), Dynamique spatiale et risques environnementaux, analyse cartographique dans le
secteur de Jougar (Dorsale tunisienne), Communication aux journées scientifiques organisées par l’Association des
Universités Francophones sur le thème «Télédétection et géorisques», Ottawa, 2004.
Giovannini, G. (1987), Effect of fire and associate heating wave on the physicochemical parameters related to the soil
potential erodibility. Ecologia Mediterranea, 13 (4), pp. 111–117.
Giovannini, G., Lcchesi, S. (1997), Modifications induced in the soil physio-chemical parameters by experimental fires at
different intensities. Soil Science, 162, pp. 479–486.
Grosse, M. (1969), Recherches géomorphologiques dans la péninsule du Cap Bon. Publi. Univ. de Tunis. Vol. X, 358 p.
Kchouk, F. (1963), Contribution à l’étude des formations dunaires de Dar Chichou, Thèse 3ème cycle. Université de Paris, 72 p.
Le Houerou, H.N. (1987), Vegetation wildfires in the Mediterranean basin: evolution and trends. Ecologia. Mediteranea, pp. 4–12.
Leck, M.A. (1989), Wetland seed banks. In: Leck, M.A., V.T. Parker, and R.L. Simpson (eds.) (1989), Ecology of Soil Seed
Banks. Academic Press, Inc., San Diego, CA. pp. 283–305.
Lili Chabaane, Z., Bouafi, H., Khaldi, A., Chakroun, H., Caloz, R. (2005). Télégestion et analyse spatiale de la régénération
forestières post-incendie dans le massif de Bou Kornine au sud de Tunis. Télédétection, Vol. 5, no. 1–2–3, pp. 161–181.
Pavillard, J. (1935), Eléments de sociologie végétale. Hermann, Paris. 101 p.
Site internet: https://www.facebook.com/pages.
Site internet: Infoclimat.fr.
Thompson, K. (1997), The soils banks of Nord West Europe: methodology, density and longevity. Cambridge. Cambridge
University, 276 p.
Trabaud, L. (1984), Evolution après incendie de la structure de quelques phytocénoses méditerranéennes du Bas Languedoc
(Sud de la France). Annales des Sciences Forestières, 40 (2), pp. 177–195.
Trabaud, L. (1987), Dynamics after fire of sclerophyllous plants communities in the Meditranean basin. Ecologia
Mediterranea, XIII (4), pp. 25–37.
Trabaud, L., Lepart J. (1980), Diversity and stability in garrigue ecosystems after fire. Vegetatio; 43 (1/2), pp. 49–57.
5
S. Chriha et A. Sghari 2014.
Note: This service is not intended for secure transactions such as banking, social media, email, or purchasing. Use at your own risk. We assume no liability whatsoever for broken pages.
Alternative Proxies: